Réflexions sur le 11 novembre

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vendredi 11 novembre 2011

Quelques réflexions sur le 11 novembre.

Date fétiche à cycle annuel. Journée de mémoire et de commémoration. Jour férié. Jour pour la paix ou jour de fin de guerre. Le 11 novembre conserve, dans l’esprit des Français, une connotation particulière, sensible, émotive. Le temps ajoute à cette impression nostalgique, les feuilles de l’automne et les frimas qui pointent. Pour autant, quelles réflexions peut-on élaborer sur le 11 novembre, et plus généralement sur la Première Guerre mondiale ? Nous proposons ici quelques pistes.

1/ Cette guerre est nommée la Grande Guerre, alors même que la Seconde Guerre mondiale fut plus destructrice : davantage de morts, de ruines, de pays touchés. Au vu de la suite des événements ce terme semble immérité. Pourtant il est resté. Pourquoi ?

2/ Cette guerre marque un tournant dans l’histoire européenne. Aujourd’hui nous avons du mal à en comprendre les raisons. Dans la Seconde Guerre mondiale les choses sont simples : c’est la lutte de la démocratie contre les totalitarismes, et l’on se range spontanément derrière la démocratie. Soixante ans après nous sommes tous résistants. On comprend les raisons de cette guerre, mais pas celles de la Première. Pourquoi ce déclenchement de fureur, pourquoi ces combats ? L’impression est vive que cette guerre fut inutile. Que la mort des soldats fut vaine. Nous n’avions rien à gagner, rien à défendre. La libération du sol de l’Alsace Lorraine n’est plus un objectif national. Nous pouvons compter ce que nous avons perdu (1.8 millions de morts, des régions entières dévastées, la fin des rentiers et de la bourgeoisie, la fin de la suprématie culturelle). En revanche, nous cherchons en vain ce que nous avons gagné.

3/ Les origines de la guerre maintenant. N’en déplaise à beaucoup la France a sa part de responsabilité, et celle-ci n’est pas mince. Où plutôt le régime républicain est un des coresponsables du déclenchement des combats. Depuis 1871 la République ne rêve que de guerre. Pas forcément une revanche, pas forcément la volonté de franchir la ligne bleue des Vosges, mais une guerre, car la guerre est consubstantielle à la République. Sans la guerre déclarée à l’Europe en 1792 la révolution n’aurait pas pu survivre. Sans ses innombrables campagnes Napoléon n’aurait pas eu d’existence. Son régime et sa personne ont un besoin impérieux de la guerre. C’est la république aussi qui lance l’aventure coloniale, contre l’avis du peuple. C’est la République également qui, avec l’aide de ses hussards noirs, martèle à des générations d’élèves qu’il faut aller récupérer les provinces perdues. Les dictées patriotiques, les cours d’historie falsifiés et orientés ont forgé des générations d’enfants soldats qui ne rêvent que de guerre. En 1910 le régime est à bout de souffle, et c’est la guerre qui l’a sauvé, lui qui est né de la guerre de 1870 –provoquée par les Républicains contre l’avis de l’Empereur- et qui a disparu dans la défaites de 1940. La IIIe République était condamnée, comme l’était la IVe, mais la guerre mondiale lui a donné une seconde vie. On constate à l’inverse que la guerre d’Algérie n’a pas permis à la république de se maintenir, et que celle-ci a au contraire provoqué sa chute et amené la Ve.

A cette époque le nationalisme est une valeur classée à gauche. Cette déviance du patriotisme est née durant la période révolutionnaire, qui développe l’idée que l’homme est davantage lié à son pays qu’à sa famille. Il faut mourir pour sa patrie, quel que soit le motif et le combat. Foi aveugle dans le régime, sacrifice de soi pour une cause humaine, le nationalisme provoque des guerres, mais surtout modifie profondément le rapport même à la guerre. Les idées révolutionnaires ayant été diffusée dans toute l’Europe il n’est pas étonnant de retrouve cette passion dans les autres pays.

4/ La façon de faire la guerre a elle aussi profondément changé. Jusqu’au XVIIIe siècle l’Europe est mue par le pacte de famille et l’idée qu’à la fin d’un conflit aucun pays ne doit être humilié. Certes il y a un vainqueur, et celui-ci récupère des territoires, mais le vaincu doit avoir une compensation. Surtout il ne s’agit jamais de détruire l’ennemi. Nous sommes dans une guerre aristocratique, entre familles, une guerre qui se veut noble.
Là aussi la révolution a profondément bouleversé cet équilibre. Il n’est plus question de paix mais de guerre à outrance. Il faut aller jusqu’au bout de la guerre, détruire complètement l’ennemi. Le pape Benoît XV et Sixte de Bourbon Parme n’avaient aucune chance de voir leur plan de paix accepté par les puissances, dans la mesure où celui-ci se fondait sur l’idée aristocratique de la compensation, alors que les belligérants voulaient à tout prix la victoire totale. La même problématique se retrouve durant la Seconde Guerre mondiale. Pie XII s’oppose à Roosevelt sur la notion même de reddition sans condition. Il estime que si l’on n’admet la fin des combats avec l’Allemagne uniquement lorsque celle-ci est complètement vaincue, il est évident qu’elle se battra jusqu’au bout et qu’elle ne peut pas engager des négociations de paix. La reddition sans condition est une machine à prolonger la guerre. Mais cette idée est issue de celle de guerre totale. La guerre totale ce n’est pas uniquement l’accroissement des armes, l’augmentation des destructions, l’implication des civils. La guerre totale c’est surtout l’idée qu’il n’y a pas de paix possible tant que l’ennemi n’est pas complètement détruit. Et une fois la paix venue il faut l’humilier davantage.

5/ Les accords de paix furent désastreux. L’Allemagne est laissée dans toute sa puissance, avec son arsenal militaire et industriel, et juste ce qu’il faut d’humiliation pour lui donner envie de reprendre les armes. Il eût fallu, comme le préconisait Jacques Bainville dans ses Conséquences politiques de la paix, démembrer l’Allemagne et rendre leur indépendance aux royaumes annexés par Bismarck, dont le royaume de Bavière. A cela, le gouvernement républicain, plus empreint d’idéologie que de réalisme politique, ne pouvait s’y résoudre.
La même idéologie a prévalu au démembrement de l’empire austro-hongrois, une autre grande erreur géopolitique. Cet empire assurait la stabilité de l’Europe centrale. Des réformes étaient certes nécessaires, mais l’empereur Charles Ier les avait commencées et comptait bien les poursuivre. En détruisant cet empire on ouvrait le champ libre à l’appétit allemand et russe, comme cela c’est réalisé par la suite. Nous en payons toujours les conséquences.

6/ La guerre marque inévitablement le début du déclin de l’Europe. Ce ne sont pas tant les destructions matérielles qui posent problèmes, car cela se résout toujours, que les destructions morales et spirituelles. Désormais, l’Europe doute d’elle-même. « Nous autre civilisation, savons désormais que nous sommes mortelles » pu dire Valéry. Le ressort civilisationnel est brisé. L’Europe, face à ses destructions, face à ses crimes, perd son sain orgueil et commence à s’interroger sur elle-même. La machine de la repentance et du reniement de soi est en marche. Nous la voyons aujourd’hui fonctionner à plein régime. Un siècle après, brisée par l’Union Européenne et mise en tutelle par l’OTAN, l’Europe ne tient plus à jouer les premiers rôles, qui sont pourtant les siens.

7/ Nous ne nous sommes pas remis de l’attentat du 28 juin 1914. Deux balles tirées par un novice ont suffit à remodeler l’Europe, quand des militaires expérimentés et aguerris n’ont pas réussi à toucher une seule personne du convoi du Général de Gaulle à Clamart. Le destin réserve parfois un sort cruel aux peuples. C’est pour cela que les commémorations du 11 novembre ont un goût d’amertume. Personne ne comprend ce que l’on fête. La fin des combats certes, mais non pas la fin de la guerre, et encore moins la victoire. « Papa sait-il que nous sommes vainqueurs ? » dit une petite fille agenouillée sur la tombe de son père, un bouquet de fleurs à la main, dans une estampe d’après-guerre. Il est possible d’additionner les pertes mais non pas les victoires, le déficit semble immense. D’où cette note amère qui persiste un siècle après, et que les Européens n’arrivent pas à retirer.

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