Populisme : éviter de penser

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jeudi 1er novembre 2018

Avant, quand on voulait éviter de penser et discréditer un adversaire, on lui accolait l’épithète libérale voire ultra-libérale et extrême-droite. La personne était grillée et ne pouvait plus rien dire : elle se trouvait d’un coup prise dans les filets de l’infamie. Depuis quelque temps, une nouvelle épithète disqualifiante est arrivée : populiste. Ce qui n’a pas élevé le niveau de la pensée, mais a permis d’étoffer un peu le vocabulaire consensuel en lui rajoutant un troisième adjectif infamant. Trump est un populiste, tout comme les partisans du Brexit, Salvini, Orban et maintenant Bolsonaro. Du temps de l’Union soviétique, quand Brejnev voulait enfermer un adversaire en hôpital psychiatrique il lui accolait l’étiquette titiste, trotskyste, voire maoïste. Les modes changent ; désormais c’est populiste. Et on décrit ainsi une vague populiste mondiale qui après l’Europe de l’Est, les Cornouailles et les États-Unis vient de toucher le Brésil. Ce dernier figure désormais sur la liste noire des États voyous. En revanche, pas un mot sur Cuba, le Venezuela, le Pakistan, où la mort d’Assia Bibi vient d’être confirmée, ni bien sûr l’Arabie Saoudite. Ce consentement unanime qui consiste à mettre populiste à toutes les sauces brouille la réalité et empêche de comprendre ce qui se passe réellement.

Il n’y a pas de vague populiste

D’abord, chaque cas est isolé et s’inscrit dans l’histoire particulière des pays. Il n’y a ni une vague ni une internationale populiste. L’électeur de Rio de Janeiro qui a voté pour Bolsonaro l’a fait en pensant d’abord au Brésil et à son cas personnel, surement pas en pensant à la Hongrie, à l’Italie ou aux États-Unis. Il n’y a rien de commun entre l’élection brésilienne et les élections en Europe ou aux États-Unis. Là-bas, pas de vague migratoire qui inquiète les populations et pas de lien avec l’Union européenne. Vouloir mettre ces élections sur le même plan est donc une escroquerie intellectuelle. L’élection brésilienne est d’abord le résultat de la volonté de tourner la page des années Lula. Les deux anciens présidents du Brésil sont en prison pour corruption et détournement de fonds publics. Il y a de quoi se détourner du Parti des travailleurs (PT) et chercher d’autres voies politiques. Toute proportion gardée, c’est un peu la même chose qui se passe en Espagne : le Parti populaire (PP) est atteint par de nombreux cas de corruption ce qui fait que les électeurs de droite se tournent davantage vers Ciudadanos, sans qu’on les traite pour autant de populistes. L’autre élément est que le Brésil est en situation de faillite. Lula a mené une politique facile de nationalisations, de redistributions sociales (c’est-à-dire de corruption électorale), et d’accroissement des services publics. Cette politique tient un temps. Mais comme il n’y a pas de repas gratuit, le temps est venu de payer. Bolsonaro ne va pas détruire les services publics, il va essayer de rétablir une situation économique qui est très mal en point. Michel Tremer, actuel président du Brésil, a d’ailleurs commencé à privatiser plusieurs entreprises.

Enfin, troisième élément, l’insécurité, qui atteint des proportions affolantes. En janvier 2018, il y a eu 700 fusillades dans l’État de Rio. Les gangs font la loi, rançonnent les populations, tiennent des quartiers entiers où il est impossible de sortir. Les chiffres sont effrayants. En 1980, il y avait 8 710 décès par armes à feu. Ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis lors. On dépasse les 10 000 morts en 1983, les 20 000 morts en 1989, les 30 000 morts en 1998, les 40 000 morts en 2012. En 2014, il y a eu 45 068 morts par armes à feu. Je n’ai pas de chiffres plus récents, mais on sait que celui-ci n’a cessé d’augmenter. Ramener au nombre de morts par 100 000 habitants cela donne 7.3 en 1980 ; 14.3 en 1990 ; 20.6 en 2000 ; 22.24 en 2014. Ce n’est pas un petit sujet. Il y a eu près de 60 000 homicides au Brésil en 2016, tous modes opératoires confondus. Si la France avait les mêmes taux, cela représenterait 18 519 morts par an, soit 51 par jour. Chiffres qui sont probablement minorés, car il est difficile de recenser avec certitude les morts dans les favelas et les quartiers isolés. Le Brésil est l’un des États au monde les plus dangereux et violents, dépassé seulement par le Mexique et les Philippines.

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