Moi, le bonhomme en chocolat

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dimanche 22 décembre 2013

Chronique gastronomique

Moi, le bonhomme en chocolat

Pour paraphraser Milton Friedman et son célèbre « Moi, le crayon », nous pouvons reprendre l’analyse pour les fameux Pères Noël en chocolat qui inondent les cantines d’entreprises et des écoles. Ces bonshommes à la valeur gastronomique quasi nulle, tant le chocolat est de goût médiocre, sont en revanche de magnifiques hérauts de la mondialisation. Les regarder, c’est mettre à bas les doctrines sur la démondialisation ou le produire français.

Commençons par l’élément premier, le chocolat moulé en bonhomme. Que d’inventions, d’innovations, et de courage, a-t-il fallu pour arriver à ce modeste bonhomme. Le chocolat provient probablement de Côte d’Ivoire, qui est un des principaux producteurs mondiaux de cacao. Mais, comme chacun sait, le cacao est originaire d’Amérique Centrale, non d’Afrique. Ce vulgaire bonhomme est donc possible parce que des Européens un peu fous ont traversé l’Atlantique pour débarquer en Amérique. Parce que d’autres Européens, non moins téméraires, ont exploré l’Afrique, et y ont importé le cacaoyer. Héritier à la fois des Conquistadors et des colons, le bonhomme en chocolat est le fruit d’une histoire de quatre siècles.
Cultivées en Afrique, les fèves de cacao sont ensuite transportées en Europe pour être travaillées. Dans ces bonshommes simples, le chocolat n’est pas de grande qualité. On y adjoint des graisses végétales, qui proviennent peut-être du Brésil, des États-Unis, ou de France. À cela il faut rajouter du sucre, éventuellement des colorants et des arômes. Le produit final est aussi bien le résultat des merveilles de l’agriculture que de l’industrie chimique. Combien de pays ont participé à la fabrication du bonhomme ? Difficile à dire, mais au moins une dizaine. Sans évoquer les machines nécessaires à la réalisation du bonhomme, la production étant largement automatisée. Sans évoquer non plus l’eau et l’électricité qu’il faut apporter aux usines. Pour faire ce bonhomme, s’il est produit en France, on a besoin du concours de Veolia ou de Suez, d’EDF, des centrales nucléaires ou des barrages hydrauliques. Ce modeste bonhomme en chocolat est bien un carrefour de technologie.

Ensuite vient l’emballage en aluminium. La Chine et la Russie étant les principaux producteurs d’aluminium, il est fort probable que l’emballage que nous retirons vient d’un de ces pays. Voilà un voyage supplémentaire. L’aluminium a lui aussi sa propre histoire, comme le cacao. Il est lié aux travaux du chimiste Pierre Berthier, qui a découvert des gisements d’oxyde d’aluminium en 1821 aux Baux-de-Provence, à l’entreprise Péchiney, fondée en 1855, au procédé Bayer, mis au point par Karl Bayer en 1887 pour obtenir de l’alumine à partir de la bauxite. Ces découvertes, couplées à d’autres, ont permis de faire baisser les coûts de production, et ainsi de multiplier les possibilités d’usage, jusqu’à faire de l’aluminium un métal banal, que l’on jette simplement après avoir ôté l’emballage du bonhomme.

Moi, le bonhomme en chocolat, nécessite donc une très longue histoire, une conjonction de techniques, une multiplication des échanges, des réflexions, des découvertes. Il n’a l’air de rien, mais il est le résultat de grandes synergies intellectuelles et technologiques. Moi, le bonhomme en chocolat est l’enfant de la mondialisation.

À cela, nous pourrions aussi ajouter l’aspect culturel du bonhomme. Sa représentation en Père Noël, qui est une déformation américaine de Saint Nicolas au cours du XIXe siècle. Le Père Noël reprend tous les attributs de l’évêque protecteur des enfants, qui est encore fêté dans les pays rhénans. À son histoire économique et technologique s’ajoute donc une histoire culturelle. Ce va-et-vient constant entre la culture européenne et américaine, cette oscillation entre la fête religieuse et la fête commerciale. Pas de Père Noël sans le Christ, sans la naissance de Jésus à Bethléem. L’histoire du bonhomme en chocolat est donc encore plus longue qu’il n’y parait.

Elle s’alimente aussi des techniques du marketing et de la vente. Il faut maîtriser les circuits de fabrication et de distribution commerciale pour que les bonshommes en chocolat arrivent dans les rayons et donc sur nos tables au moment de Noël. En novembre, c’est trop tôt, en janvier, c’est trop tard. Il faut donner envie aux enfants et aux parents d’acheter ces bonshommes, on ne peut se prévaloir uniquement des habitudes et de la tradition. Le volet marketing et commercial est au moins aussi important que le volet technique.

Moi, le bonhomme en chocolat. Il n’a l’air de rien. On n’y prête guère attention, on s’extasie beaucoup plus sur un smartphone ou une voiture dont on vante la technologie et la construction. Mais le bonhomme en chocolat peut lui aussi prétendre à un regard plus noble sur son cas. Sans mondialisation, nous n’aurions pas de bonhomme en chocolat, ou alors, pas à ce coût modique. Il nous rappelle donc que si Noël est la fête du partage, elle est aussi celle de l’échange, deux valeurs humaines et économiques.

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