Les topinambours

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vendredi 29 mai 2020

Comme à la guerre

Impossible de faire avaler des topinambours à quelqu’un qui a connu la Seconde Guerre mondiale. Il vous dira qu’il en a tellement mangé pendant la guerre qu’il ne veut plus en avoir dans son assiette. Ce sera peut-être pareil pour les pâtes. Après s’être rués sur les stocks de farfalle et de coquillette au point d’avoir acheté en quelques jours autant qu’en une année, les Français vont devoir éponger les stocks. Après « l’hiver des rutabagas », peut-être aurons-nous « le printemps des pâtes » qui évoquera encore dans quarante ans « les semaines sombres de notre histoire », celui du Grand confinement. Les topinambours reviennent en cuisine grâce à la mode des légumes oubliés ; ils font partie des nombreuses plantes rapportées d’Amérique. C’est au Français Samuel de Champlain que l’on doit sa découverte en 1605, lors d’une expédition en Nouvelle-France.

Très prisé des populations indigènes, ce tubercule servait tout à la fois pour l’alimentation du bétail qu’à la consommation humaine. Appelé truffe du Canada par certains, topinambour par d’autres, par analogie avec une tribu du Brésil ou encore artichaut de Jérusalem par les Anglais, ce légume n’est pas à nom fixe. Il pousse vite et bien, il donne de belles fleurs jaunes et il sert les hommes, les cochons et les vaches ; idéal donc à la campagne.

Certains le mangent cru, râpé comme des carottes, d’autres cuits, accompagné d’une vinaigrette ou en gratin. Son goût s’apparente à celui de l’artichaut, bien qu’il ne soit pas du tout de la même famille botanique. Étant donné sa forme tarabiscotée et tortueuse, il demeure bien difficile à éplucher. Sa rusticité et sa laideur cachent un goût délicat. Il a l’avantage d’une grande multiplication végétative, y compris dans les sols pauvres. Au long du XVIIIe siècle, il a été un aliment miracle, capable de nourrir les régions appauvries. La pomme de terre l’a détrônée, elle qui se prête à des variétés culinaires bien plus grandes. Son heure de gloire passée, le topinambour, que l’on trouve nommé poire de terre dans certains livres de botanique, est tombé dans l’oubli. C’est la guerre qui l’a remis en selle.

Contrairement aux pommes de terre, il n’était pas réquisitionné par les Allemands. Capable de nourrir les hommes et leurs animaux, il redevenait profitable. Torréfié, il peut même fournir une sorte de chicorée, qui rappelle le café, ou plutôt le jus de chaussette. Le topinambour est vraiment le légume du temps de crise. Il peut même pousser sur des balcons, ce qui sera utile à maîtriser pour le prochain confinement. Le voilà revenu en majesté avec le rutabaga, le panais, le cardon et le cerfeuil. Des légumes vivaces et tenaces, au goût fort et aux capacités culinaires multiples. Les férus de localisme devraient planter ces légumes dans leur jardin et abandonner le soja brésilien. Les plantes sont prolifiques, les fleurs décoratives et, avec un peu d’inventivité, on devrait pouvoir mettre au point une recette de farfalle au topinambour. De quoi écouler les stocks et inscrire dans l’histoire de la gastronomie la période du virus chinois.

Chronique parue dans L’Incorrect.

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