Les origines de l’islam

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mercredi 26 décembre 2012

Rencontre avec Laurent Lagartempe, auteur d’un livre sur les origines de l’islam.

1 - Que s’est-il vraiment passé au VIIe siècle au Moyen Orient ?

Que vous vous posiez à vous-même cette question ou que vous la posiez à un quelconque interlocuteur, même « cultivé », vous obtiendrez toujours à peu près la même réponse : un certain Mahomet a prêché le Coran à La Mecque et lancé les Arabes à la conquête des empires. En insistant vous obtiendrez tout au plus des réponses relatives à la vie et aux mœurs du mythique personnage, dont la biographie supposée est si présente dans les médias que plus personne n’en ignore au moins quelques détails pittoresques, mais peu de réponses quant à la façon dont s’est déroulé l’événement, ses circonstances et ses causes, la nature des protagonistes en présence… Bref, vous devrez constater que l’histoire vraie des origines de l’islam est pour ainsi dire absente de la conscience collective des Français et plus généralement des Européens. Et si, étant journaliste, il vous vient à l’idée de consulter vos fiches, il y a de grandes chances pour que vous n’y trouviez que peu de chose sur le sujet. C’est un fait avéré, l’écrasante et omniprésente légende mahométane occulte entièrement, dans l’opinion, l’histoire des origines de l’islam.

En aucun cas un événement historique ne peut être rapporté à une seule cause, encore moins à un seul personnage. L’origine de l’islam est même l’un des événements dont le déterminisme est des plus complexes, dont les causes politiques, sociologiques et culturelles ont des racines anciennes dans la vie et la culture des peuples millénaires de la Méditerranée et du Proche Orient.

La causalité la plus immédiate, la plus contingente des origines est, dans ce cas comme dans bien d’autres, d’ordre événementiel. L’islam a vu le jour à la faveur d’affrontements politiques et guerriers dont l’imbroglio affecte tout le demi VIIe siècle et dont l’issue, a priori imprévisible, aurait pu être finalement tout autre.

L’étude de cette époque permet de redécouvrir les aspects connus du génie grec dont notre Occident est si profondément imprégné ; de découvrir la part moins connue de ce que nous avons hérité du génie perse ; et d’accèder à une vision de la culture juive plus diversifiée que celle à laquelle nous ont habitués de trop exclusifs stéréotypes contemporains ; ainsi que d’accèder à une connaissance approfondie du tempérament et des mœurs du peuple bédouin, dont le Coran est un fidèle reflet et dont l’islam est largement imprégné.

2 – Paléolithique contre néolithique

Le mot « Origines » est ici à prendre au sens large du terme : incluant les faits propres à l’événement lui-même, et aussi tout ce qui s’y rapporte de près ou de loin.

La thèse la plus fondamentale est celle qui se rapporte à l’« effet nomade » vu en tant que cause première du drame ayant abouti à l’émergence de l’islam. L’agressive présence aux frontières des barbares nomades fut le grand tourment de tous les empires. Ce fut le cas pour les anciens empires, de Sumer à Assour ; ce le fut également pour ceux, plus récents de Perse, Rome et Byzance. La conquête arabe en est un modèle typique.
Les invasions arabes sont en effet l’un des derniers avatars de ce perpétuel tourment infligé par des peuples barbares aux peuples civilisés des cités, des royaumes et des empires. En effet les véritables acteurs et profiteurs du grand chambardement ayant affecté le Moyen Orient au VIIe siècle sont les Bédouins, peuple composé de turbulentes tribus nomadisant dans les espaces de steppes et déserts de l’immense Arabie (dite actuellement Saoudite). En matière d’histoire la causalité est non seulement plurielle, mais encore souvent équivoque, douteuse, difficile à établir… La prudence conduit souvent à parler de facteurs accélérateurs ou répresseurs… de circonstances propices ou non … ou même de pures coïncidences.

En ce qui concerne l’émergence de l’islam, l’« effet nomade » a joué un tel rôle dans l’aventure que l’on ne saurait l’écarter en tant que cause, non pas cause unique bien sûr, mais sans doute « cause première », celle sans laquelle les autres causes n’auraient pu devenir opérantes. L’« effet nomade » est ce processus majeur qui durant huit ou dix millénaires a continuellement ralenti l’opiniâtre aspiration des hommes à s’organiser en communautés de sédentaires, producteurs de bien et inventeur de cultures humanistes. Dernier « effet nomade » de grande ampleur avant l’épopée de Gengis-Khan au XIIe siècle, cette cause première de l’émergence de l’islam est essentielle à la compréhension de ce qu’est véritablement l’islam. L’islam fut dès l’origine imprégné d’esprit bédouin, et n’a jamais depuis cessé de l’être.

3 - Un voyage imaginaire au pays des identités antiques

La rigueur chronologique est la condition première d’une juste interprétation de l’histoire. Inverser une succession temporelle d’événements conduit inévitablement à prendre l’effet pour la cause, et la cause pour l’effet. Or cet anachronisme relatif à la datation des faits, assez facilement repérable et remédiable, est moins insidieux que cette autre sorte d’anachronisme, celui qui se rapporte à l’optique globale à travers laquelle on perçoit les événements du passé. Regarder agir les acteurs du passé avec les yeux du présent est la tendance naturelle, toujours difficile à surmonter.

Cette précaution s’avère être essentielle dans le cas particulier de l’histoire des origines de l’islam, étant donné que tout ce qui s’est écrit en langue arabe sur le sujet est littéralement infecté d’anachronismes, relatifs à l’interprétation des faits autant qu’à leur datation. Il faut avoir à l’esprit ce fait plutôt insolite que l’on ne retrouve pratiquement aucun document en langue arabe, qu’il s’agisse des légendes mahométanes ou de l’historiographie proprement dite, qui ne soit antérieur à la fin du VIIIe siècle. Or on sait pertinemment que, très tôt et constamment ensuite jusqu’au IXe siècle, on a beaucoup écrit en langue arabe et beaucoup détruit à la faveur de féroces luttes de chefs pour le pouvoir.
Il y eut ainsi, durant deux ou trois siècles, de successives manipulations de récits, ayant pour but de donner au passé le visage que l’on voulait qu’il ait dans le présent, et qui chaque fois évoluait au gré des puissances du moment. L’aspect le plus insidieux de ces manipulations anachroniques est celui qui tient à l’usage de certains mots arabes essentiels, ayant eu au départ un sens très différent de celui qu’ils ont acquis ensuite, et qui apparaissent dans les récits du passé avec le sens nouveau qu’ils n’avaient pas alors. Pouvoir s’affranchir de ce trucage sémantique, exige une immersion mentale imaginaire dans ce que fut la mentalité arabe de plusieurs époques successives et une initiation au glissement de sens subi par certains mots ; ce qu’autorisent maintenant les études linguistiques qualifiées.

Qui plus est, l’événement « origines de l’islam » considéré dans sa globalité et rapporté à son contexte socio-politique, appelle une juste appréciation de l’état des mentalités d’époque, tant des Arabes eux-mêmes que des peuples partenaires du drame.

4 - Une enquête équitable : instruire l’affaire à charge et à décharge

Métaphoriquement, ce qui s’est passé au VIIe siècle au Moyen Orient peut être considéré comme une grave atteinte à l’ordre public, une considérable agression de paisibles communautés par une puissance délinquante, dont il y a lieu d’élucider le caractère et définir les responsabilités. De ce point de vue, le problème à traiter s’apparente à une affaire judiciaire, dont un juge conduirait l’instruction conformément à une éthique de rigueur et d’équité. Le juge qui n’est jamais neutre, puisqu’il a mission de se prononcer sur des implications et des responsabilités, doit pourtant faire preuve d’objectivité. L’objectivité dans l’instruction exige au moins qu’aucune piste ne soit négligée et que les responsabilités soient instruites à charge et à décharge.

En première approche, quatre « nations » sont impliquées dans le drame des origines de l’islam, Perses, Grecs, Arabes et Juifs, dont le portrait identitaire approfondi est brossé dans les quatre premiers chapitres du livre. Au point de départ de toute l’action se situe une grande offensive Perses contre les Grecs, suivie d’une formidable et victorieuse réplique de Byzance, causant un véritable séisme dans tout le Moyen Orient, avec pour effet global l’épuisement des deux empires, et pour conséquence leur fragilité face à l’insurrection arabe. La première grande responsabilité du drame est donc à situer du côté perse plutôt que du côté grec, les insurgés arabe faisant pour leur part figure de profiteurs opportunistes de désordres qu’ils n’avaient pas eux-mêmes provoqué. Mais peut-on pour autant imputer aux « Arabes » toute la responsabilité dans la suite de l’affaire ?

La « nation arabe » était à l’époque diversifiée, en grande partie imprégnée d’influences perses, grecques, chrétiennes. En marges des empires il y avait des royaumes arabes chrétiens, partenaires des empires et qui leur restèrent fidèles au long du drame. L’insurrection fut le fait des tribus de l’intérieur de la péninsule arabe restées nomades. En ce sens, il est pertinent d’imputer la responsabilité des premières conquêtes au « monde bédouin » plutôt qu’à un « monde arabe » réputé à tort uniforme.
La « nation juive », elle aussi, était loin de présenter l’unité qu’on imagine parfois. Il y a manifestement une influence juive à l’origine de la subversion bédouine, mais il serait très injuste d’en imputer la responsabilité « aux juifs » selon une expression courante souvent suspecte d’antisémitisme. Le pluralisme culturel juif de l’époque était plus accentué encore que celui que nous lui connaissons actuellement, avec des tensions plus dures encore entre factions rivales. Les juifs impliqués dans la subversion bédouine étaient ennemis jurés des juifs rabbiniques. Ils constituaient une secte dite « judéo-chrétienne » en rupture complète avec l’orthodoxie talmudique. Ce ne sont donc pas « les Juifs » qui sont impliqués dans la subversion mais un clan d’hérétiques au judaïsme, engagé dans une idéologie intolérante, revancharde et farouchement guerrière.

5 - Dix questions dérangeantes sur l’historicité de Mahomet

Comment se fait-il que la biographie de Mahomet soit restée cet immuable stéréotype que l’on nous ressert indéfiniment dans les médias, résumée, amplifiée ou arrangée de diverses manières, mais toujours imperturbablement semblable à elle-même quant au fond ! Cas unique dans la série des personnages hors du commun de la chronique historique, la figure de Mahomet ne fait l’objet d’aucune véritable variante dans les portraits qu’en tracent les auteurs les plus divers, des thuriféraires les plus serviles aux censeurs les plus sévères. Selon que l’on vénère ou fustige le personnage, on insistera sur tel ou tel aspect de sa vie et de ses mœurs sans pour autant remettre en question la figure d’ensemble qu’en propage indéfiniment la tradition. En matière de critique historique, il se produit en général toujours de l’inédit, conduisant à enrichir ou à reconsidérer ce que l’on sait déjà ou croyait savoir sur les personnages célèbres. De quelle façon Mahomet peut-il avoir fait exception à la règle ?

La rigoureuse orthodoxie musulmane est pour beaucoup dans cette pétrification biographique, mais il y a plus encore. Cet étonnant constat mis à jour par la recherche, d’un véritable cercle vicieux sémantique affectant tout ce que colporte la légende. La somme de tout ce qui est attribué à Mahomet, d’actes et de déclarations, remplirait une copieuse bibliothèque, ce qui signifie que nombreux en sont les auteurs véritables. Il est de règle constante en recherche historique que la confrontation de textes d’auteurs différents donne toujours lieu à des tests croisés, propices à l’approche de la vérité. Or la littérature mahométane, si riche en redondances, ne donne pour ainsi dire pas de prise à ce genre de test, comme si les auteurs de toutes époques – aucun document connu n’est antérieur au IXe siècle – s’étaient donné le mot pour cultiver les mêmes stéréotypes, sans souci de chercher à d’avantage approcher la vérité historique. Il y a là une anomalie typiquement musulmane qui piège la possibilité d’extraire de la légende la part de vérité historique du personnage.

Il appert en effet que la geste attribuée à Mahomet se situe dans des cités qui n’existaient pas à l’époque ; que la religion des Omeyyades – jusqu’en 750 à l’avènement des Abbassides – ne fit pratiquement aucune place à l’existence d’un prophète de ce nom ; que le Coran ne mentionne nulle part le dit prophète, dont l’aura ne fut définitivement consacrée que par décision de l’éminent Ghazali au XIe siècle. Ces faits avérés, et quelques autres clairement exposés, permettent de poser ces dix questions dont les réponses implicites ne laissent qu’une faible part d’authenticité historique dans la foisonnante légende du personnage.

6 – Les conséquences de l’émergence de l’islam

L’islam est porteur d’une « idéologie intrinsèquement perverse ». Ce raidissement anti-valeurs est présent dès l’origine, caractéristique de l’attitude mentale des conquérants de la première heure. Ce que la culture islamique est actuellement, ce qu’elle n’a jamais cessé d’être, elle le fut dès les premiers instants d’émergence de l’islam. Par rapport à nos cultures occidentales, aussi loin que l’on remonte dans le temps, ce fut et cela reste une culture de la régression, une contre-culture.

L’émergence de l’islam, c’est avant tout l’écroulement de l’empire perse et le déclin des influences gréco-chrétiennes au Moyen Orient, au profit d’influences culturelles non pas comparables ou complémentaires mais véritablement contradictoires, radicalement opposées. Contrairement à ce qui se passait depuis des millénaires au Moyen Orient et en Méditerranée, d’une montée humaniste progressive des civilisations à la faveur de cultures qui, en dépit de leurs différences et de leurs oppositions, finissaient toujours par se marier ou se greffer les unes sur les autres, l’islam se pose d’emblée en tant que déni de cette genèse culturelle, en même temps que mépris haineux de tout ce qui est « autre ».

A ce radical rejet de ce que sont les « autres » on trouve des racines historiques lointaines, mais aussi des racines préhistoriques plus fondamentales encore. La millénaire expansion de la culture grecque, de nature essentiellement pacifique, n’avait guère connu de véritable opposition en Méditerranée, avant comme pendant et après Rome. Il y eut par contre davantage de résistance à l’hellénisation au Moyen Orient – Syrie, Palestine, Egypte – où l’influence s’imposa de façon plus autoritaire sous l’égide d’Alexandre et de ses successeurs. Et c’est précisément dans cet espace particulier, dans cette partie occidentale du Croissant fertile, que des germes persistants d’anti-hellénisme trouvèrent à s’exalter au VIe siècle, au point de faire basculer le Moyen Orient tout entier d’un apogée pluriel de civilisations humanistes, dans une contre-culture du refus et de l’exclusion, source d’asservissement des peuples et de sous-développement des communautés.

7 - Samuel Huntington avait-il vu juste ?

L’énoncé de Paul Valéry « Nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » avait en son temps un peu surpris. Le narcissisme européen aidant, on avait du mal à imaginer que notre « civilisation occidentale » puisse avoir une fin. En ce temps d’incertitudes, la sentence paraît moins surprenante. Or, les civilisations qui, manifestement, ne sont pas éternelles, ont cependant une durée de vie longue, bien plus longues que celle des royaumes et des empires. Paul Valéry devait avoir à l’esprit Ctésiphon, Rome et Byzance qui ne sont plus que souvenirs, mais dont la durée de vie avoisine malgré tout le millénaire, alors que les nations et les Etats, leurs institutions et leurs régimes politiques, se comptent en siècles, parfois même seulement en dizaines d’années.

Si, maintenant, on prend le mot « civilisations » au sens très large du terme, et qu’on adopte une optique historique de temps long, on s’aperçoit que les civilisations ont des durées de vie plus longues encore que celles des empires auxquels pensait Valéry. Rome comme Byzance étaient imprégnés d’hellénisme, lequel avait commencé d’influencer le pourtour méditerranéen bien avant que n’émergent les deux empires, et le zoroastrisme avait commencé d’influencer la Perse avant que Cyrus n’en réalise l’unité. Dans cette optique c’est cette fois au niveau du bimillénaire qu’il faut situer la durée de vie des civilisations grecque et perse, qui sont restées face à face durant tout ce temps, certes avec des influences réciproques, mais surtout avec chacune leur affirmation identitaire spécifique, dont elles ne se sont jamais vraiment départies. Et si maintenant on porte un regard global sur les multiples conflits ayant parsemé l’histoire de ces civilisations sur la longue durée, on s’aperçoit que leurs tensions majeures s’inscrivent dans une dialectique d’affrontement entre deux blocs, à la fois géographiques et culturels, dont le point de rupture principal se situe quelque part entre Syrie et Arménie, dans cette région de Haute Mésopotamie appelée Djézireh.

Constatant que cette Djézireh est aujourd’hui l’épicentre des tensions entre Iran, Irak et Turquie, on ne sera pas surpris d’apprendre que c’est également là que se situa l’épicentre du séisme qui ébranla au VIIe siècle d’antiques civilisations avant de donner naissance à l’islam. Les puissants empires perse et grec de l’époque s’affrontèrent durant vingt années de guerres ininterrompues (610-630) qui les affaiblirent au point de les mettre à la merci d’attaques bédouines, contre lesquelles ils avaient pourtant toujours su se prémunir. L’invasion arabe qui s’ensuivit, inédite par le succès qu’elle a remporté, n’est cependant pas un événement inédit. Elle appartient au modèle absolument classique des invasions de sédentaires-producteurs par des nomades-prédateurs. En d’autres termes l’événement s’identifie fondamentalement à un choc entre une civilisation paléolithique arabe et les civilisations néolithiques du Croisant fertile.

Samuel Huntington ( Le choc des civilisations, 1997) constatait après l’effondrement du bloc soviétique, que l’ordre bipolaire de la guerre froide n’avait été qu’un mode éphémère de relations internationales, laissant réapparaître le monde réel de toutes époques, multipolaire, où la tradition et les mœurs, la mémoire collective et la conscience identitaire, sont ce qui conditionne durablement les rapports entre les peuples. A ses yeux, la géopolitique du monde n’est pas essentiellement fondée sur des clivages idéologiques ou politiques, mais sur des oppositions culturelles dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale. La lecture des événements du VIIe siècle au Moyen Orient s’inscrit aisément dans cette vision géopolitique qui n’est évidemment pas que contemporaine. Le drame des origines de l’islam s’identifie à un choc multipolaire entre quatre blocs « civilisationnels » au sens où l’entend l’auteur du Choc des civilisations. Cet épisode majeur de l’histoire des peuples que fut l’émergence de l’islam, est une confirmation rétrospective de la thèse toujours très controversée d’Huntington, qui décidément a vu juste.

8 - L’islam est resté ce qu’il fut dès son origine

Au début, il n’y eut ni prophète ni islam ; seulement des Bédouins excités au pillage du Croissant fertile par une secte messianite, ennemie jurée des chrétiens autant que des juifs. Culturellement, il y eut collusion d’esprit totalitaire entre le fanatisme messianite et la violence bédouine, et jamais par la suite l’islam n’a pu se déprendre de cette collusion idéologique rétrograde. A la fin du VIIe siècle, l’éminent calife Abd al-Malik avait réussi à tempérer la furie destructrice des nomades, turbulents, inconséquents et politiquement irresponsables, mais les tribus nomades étaient maintenant présentes à demeure dans le nouvel empire, installées dans des camps retranchés, à l’écart des cités, toujours pénétrées d’esprit anarchique et prédateur.

Au début du IXe siècle, le Puissant Haroun ar-Rachid était toujours en butte à cette pandémie sociale calamiteuse, dont il ne vint à bout, provisoirement, que par une concession qui allait sceller définitivement le funeste destin de l’islam. Il dut plier sa religion d’Etat aux carcans d’une fruste et fanatique religiosité de nomades. Mais les Bédouins, continuèrent de se comporter en corps étranger dans l’empire, imbus d’élitisme, d’arrogance et de rapacité, toujours disposés à prêter main forte à tout fauteur potentiel de désordres, susceptibles de recréer l’opportunité de pillages de toutes natures. Les occasions de cette sorte ne firent jamais défaut à cause des perpétuelles luttes dynastiques. Il se trouvait toujours un calife en difficulté ou un prétendant calife obligé de faire appel à leurs forces belliqueuses en contre-partie de privilèges concédés, dont l’inévitable effet était de conforter leur arrogance, leur esprit séditieux et leur pouvoir de nuisance.

Ces irréductibles Bédouins furent toujours présents partout dans l’espace musulman, et le sont toujours, repérables sous de successives appellations. En Perse « Ismaélites » désignait les Arabes les plus fidèlement attachés à leurs origines nomades. L’Occident les a longtemps appelés « Sarrasins » puis « Barbaresques ». Aux Xe et XIe siècle les nomades Hilaliens, venus des steppes d’Egypte et de Libye, ravagèrent l’Afrique du Nord, condamnant à un sous-développement millénaire des territoires dont la fertilité agricole avait fait la richesse de Carthage et de Rome. Le fanatisme ismaélite s’est exalté du XIe au XIIIe siècle à travers la secte des « Hashashin », dont dérive le mot « assassin », qui terrorisaient l’Iran et la Syrie depuis un farouche repère des monts Elbourz, pratiquaient le crime ritualisé et inventèrent l’éthique, devenue aujourd’hui banale, du mystique attentat-suicide. Il ne fallut pas moins que l’intervention des terrifiants successeurs de Gengis Khan en 1258 pour exterminer la secte, qui toutefois n’a cessé de renaître depuis sous diverses formes.
Le wahhabisme, activement promu en « Bédouinie » moderne, est né au XVIIIe siècle d’une volonté de « ramener l’islam à sa pureté d’origine » autrement dit à la forme la plus rétrograde du fanatisme ismaélite. Ressurgi au XXe siècle sous l’égide d’Ibn Saoud, ce pernicieux messianisme imprègne maintenant divers clans (Frères musulmans, Al-Qaïda et autres Taliban…) qui s’emploient activement à faire régner dans le monde entier un terrorisme hérité directement, dans son principe autant que dans ses pratiques, de celui que les Hashashin ne firent régner, somme toute, que dans un espace limité du Croissant fertile. Les bédouins qui aujourd’hui encore continuent de vivre sous la khaima ou dans des camps retranchés sont quantité négligeable, mais l’esprit bédouin est plus vivace et plus maléfique qu’il n’a jamais été, incrusté en « noyaux durs » dans le monde entier. Ayant capté nos savoirs et nos pouvoirs les plus avancés, les bédouins contemporains, de haute éducation occidentale et comblés de richesses, ne sont pas moins rusés, rapaces et fanatiques que leurs frustes ancêtres coureurs de steppe. Ils nourrissent comme eux le projet d’asservir et de pressurer tous les peuples civilisés, envers lesquels ils continuent de nourrir d’incoercibles sentiments de jalousie et de mépris.
L’Occident tente de se rassurer en considérant que les sectateurs actuels du terrorisme ne sont que minoritaires dans les Etats musulmans, et que la puissance politique et culturelle de l’Europe suffira à endiguer leur barbarie. Or les envahisseurs bédouins et leurs descendants furent longtemps très minoritaires dans le puissant empire perse, ce qui ne les a pas empêchés de finir par le dominer entièrement et y faire prévaloir leur culture rétrograde. Comme au temps de Paul Valéry, qui leur disait le contraire, les Européens croient ingénument que leur civilisation n’est pas mortelle. Ils s’attachent à l’idée que dans toutes les nations, y compris les musulmanes, les gens paisibles et bien intentionnés constituent la grande majorité des sociétés, ce qui est manifestement vrai, et que cette vertu intrinsèque des peuples suffit à en endiguer les poussées de fièvre fanatiques, ce qui est manifestement faux. Ils oublient, qu’en raison même de leurs vertus intrinsèques, ces majorités pacifiques ont une propension naturelle à la passivité, puis à la résignation et finalement à la soumission, au fur et à mesure que le totalitarisme évolue des stades naissant, insidieux, puis intimidateur et finalement dictatorial.

Il s’agit là d’un processus bien connu des Européens, mais aussi bien oublié, puisque c’est celui qui fut à l’œuvre, avec les catastrophiques résultats que l’on ne connaît que trop, en Russie avec le communisme et en Allemagne avec le nazisme. Les Russes de 1917 et les Allemands de 1938 étaient dans leur très grande majorité des citoyens qui aspiraient avant tout à vivre en paix, préférant ne pas voir la montée en puissance de minorités d’idéologues forcenés, jusqu’à ce que, brusquement, ces penseurs de l’absurde se muent en irrésistibles tyrans sanguinaires. On peut en dire autant des Japonais, Chinois, Algériens, Irakiens, Afghans… tous peuples amoureux de la paix, tous victimes de dictatures sanglantes, pour s’être comportés en majorités silencieuses et inertes, jusqu’à l’instant de non-retour où la terreur instituée exclut toute possibilité de résistance.
La plupart des pays musulmans en sont actuellement au stade d’intimidation des pouvoirs en place ou même déjà à celui de la terreur instituée. Inéluctablement, ces pays sont en train de basculer d’islam en islamisme. L’heureuse Europe continue de croire qu’il suffit de brandir ses étendards de démocratie, de Droits de l’homme et de laïcité pour être vaccinée contre cette pandémie « messianito-bédouine », dont les germes ont pourtant déjà beaucoup progressé. En réalité, l’opinion européenne actuelle en est à l’égard du péril bédouin, au stade ou elle était à l’égard du péril communiste au début du XXe siècle ou du péril nazi à la veille de Munich.

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