Les funérailles des rois de France

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jeudi 20 mars 2014

Les funérailles des rois de France, jusqu’à celles de François 1er.

Les funérailles des rois de France ont présenté une complexité progressive dans leur déroulement. Si l’enterrement d’un roi mérovingien était simple, celui d’un roi de la Renaissance fut certainement le plus élaboré : il comprenait en effet un cérémonial centré sur un objet bien particulier.

I – Les Mérovingiens

On sait peu de choses sur les funérailles royales mérovingiennes, presque uniquement grâce à l’archéologie, car les textes sont rares. Les funérailles ne semblent pas être spécifiques. Elles sont celles d’un personnage de haut rang, avec un faste plus grand. Rien d’étonnant à cela, les rois mérovingiens ne se distinguent pas des autres nobles, car ils ne sont jamais sacrés. Ils ne reçoivent, pas encore, l’onction, qui donnera au souverain un prestige plus important, une primauté sur les autres grandes lignées du royaume

Avant ses funérailles, le corps du roi est lavé et habillé de riches vêtements, plus beaux que ceux qu’il portait de son vivant. Ces tâches semblent faites par un homme important, noble ou prélat. Son corps, dont le visage est probablement découvert, est posé sur une civière ou un brancard porté à bras d’hommes. La famille proche l’accompagne, ainsi que d’autres personnes : membres du clergé, peuple…

II – Les Carolingiens

En 751, Pépin le Bref dépose le dernier Mérovingien, Childéric III, se fait élire roi, le premier de la dynastie carolingienne, et est sacré, le premier roi des Francs à l’être. Le sacre lui attribue une nouvelle primauté. Celle-ci ne semble pas pour autant attribuer un cérémonial fastueux aux funérailles royales : d’après Eginhard, chroniqueur qui a assisté à l’enterrement de Charlemagne en 814, le corps de l’empereur, le jour même de sa mort, a été lavé, porté à l’église, et inhumé au cours d’une cérémonie à laquelle participait le peuple. Il faut attendre la mort de Louis 1er le Pieux, en 840, pour avoir une cérémonie particulière, qui montre son caractère royal. Son corps est accompagné à Metz par des évêques, des abbés, des comtes, des vassaux, et une grande foule. Ce n’est qu’avec la mort de Lothaire, en 986, qu’on a plus de détails sur les funérailles royales de l’époque (Cf. dans Erlande-Brandenburg, bibliographie, p. 9). On retrouve, placés sur le lit funèbre, les regalia (épée, bâton, sceptre), qui sont les insignes du pouvoir, et qui soulignent la dignité royale de Lothaire. La couronne est portée par un membre du clergé, comme au couronnement, où seul le prélat officiant la dépose sur la tête du roi. C’est une volonté de rappeler que, aux funérailles comme au couronnement, elle est décernée par l’Eglise. Visiblement, l’inhumation de Lothaire a été fastueuse. Est-ce, pour les funérailles carolingiennes, une exception ou la réalité ? Nous n’en savons rien.

III – Les Capétiens aux Xe, XIe, et XIIe siècles

La documentation sur cette époque est également pauvre. Ce n’est qu’avec l’abbé Suger que l’on a des détails sur des funérailles, celles de Philippe 1er, en 1108. Y assistent les plus grands personnages de l’époque : Louis VI, nouveau roi, les évêques de Paris, Senlis, Orléans, l’abbé de Saint-Denis. Louis VI est là à double titre. Étant le fils du roi défunt, il est naturel pour lui d’être aux funérailles de son père. Mais sa présence permet aussi de montrer qu’il est, déjà, le nouveau roi. C’est très important pour lui de s’affirmer ainsi face à d’éventuels meneurs qui auraient vue sur son trône, en ces temps où la monarchie française n’est pas encore stable.

La litière est portée par les serviteurs du roi défunt. Les porteurs évolueront dans le temps :
 les plus proches parents du défunt : en 1260, Louis de France, le fils aîné de saint Louis, décède. Saint Louis et Henri III, roi d’Angleterre, portent sa litière sur quelques mètres, quand elle quitte la basilique de Saint-Denis, en direction de Royaumont. Cette scène est reproduite sur le petit côté du soubassement du tombeau de Louis de France, conservé dans la basilique de Saint-Denis (photo),
 quelquefois, le successeur du roi, quand il assiste aux funérailles,
 les présidents du parlement de Paris,
 les hanouars, mot tiré d’un vieux mot breton, qui signifie marchand de sel. Ils seront utilisés comme porteurs, des funérailles de Charles VI (1422), jusqu’à celles de Charles VIII (1498). Ils sont les porteurs de sel de la ville de Paris, et, en tant que tels, réputés suffisamment robustes pour être choisis pour cette tâche,
 un chariot, à partir des funérailles de Louis XII, en 1515. Le corps du roi est désormais serti dans du plomb, puis placé dans un coffre, lui-même à l’intérieur d’un cercueil. L’ensemble est trop lourd pour être porté par des hommes, même forts.

IV – Les rois de France au XIIIe siècle

Le XIIIe siècle marque une rupture avec les siècles précédents : le roi bénéficie de funérailles dignes de lui. Ce phénomène vient d’Angleterre. On le constate surtout quand on voit avec quels fastes, d’après le chroniqueur Benoît de Peterborough, on a enterré, en 1189, Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et comte d’Anjou : « Le lendemain de sa mort, alors qu’il était porté à sa tombe, vêtu comme un roi, portant la couronne sur la tête et ayant aux mains des gants et l’anneau d’or au doigt, le sceptre à la main et des chaussures tissées d’or, et des éperons aux pieds, ceint de l’épée, il gisait le visage découvert ».

On glorifie le roi, on lui témoigne toujours du respect, car, même mort, il continue à posséder ce caractère spécial que lui a donné l’onction reçue au moment du sacre. Cette glorification passe notamment par l’exposition publique du corps du roi, avec le visage découvert, et revêtu des insignes de sa majesté. Le premier roi de France dans ce cas a été Philippe-Auguste, décédé à Mantes le 14 juillet 1223, et enterré dès le lendemain à Saint-Denis. Son corps est habillé d’une tunique et d’une dalmatique, et il est couvert d’un drap d’or. On a de plus placé un sceptre dans sa main et une couronne sur sa tête. A la messe de requiem à Saint-Denis, assistent les archevêques de Reims et de Sens, vingt évêques, le légat du pape, les moines de Saint-Denis et d’autres membres du clergé. Parmi les laïcs, on trouve notamment Louis VIII, successeur de Philippe-Auguste, et Jean de Brienne, roi de Jérusalem. Louis VIII est là uniquement pour les funérailles de son père, pas comme Louis VI, en 1108, à celles de Philippe 1er. Il n’est pas là pour s’affirmer, il n’en a pas besoin : la monarchie est maintenant héréditaire de plein droit, et il n’y a plus personne qui songe à contester ses droits au trône.

V – De l’exposition à visage découvert, à l’effigie

Le cérémonial est bien arrêté à partir des funérailles de Philippe-Auguste, en 1223. Il va peu évoluer pendant 200 ans. Il y a moins d’intérêt à l’étudier, et nous pouvons donc nous transposer en 1422, année du décès de Charles VI. A l’occasion de ses funérailles, on utilise, pour la première fois en France, un objet très particulier, que l’on va ensuite retrouver à tous les enterrements royaux durant les 200 ans qui vont suivre, jusqu’aux funérailles d’Henri IV, en 1610. Mais avant de montrer la symbolique qui tourne autour de cet objet, que l’on étudiera grâce aux funérailles de François 1er, en 1547, voyons comment on en est arrivé là.

Le Moyen-Age a été une période difficile : les maladies, les épidémies, les famines, les guerres ont été monnaie courante. Pour les gens du Moyen-Age, la mort est une compagne de la vie quotidienne, elle est familière, attendue, acceptée. A tel point que le chercheur français Philippe Ariès a utilisé le terme de mort « apprivoisée » pour qualifier les rapports, au Moyen-Age, que les vivants entretenaient avec la mort. Un exemple qui montre cette familiarité est le fait qu’on enterre le défunt, qu’il soit un quidam quelconque ou un roi, avec son visage découvert : « … il gisait le visage découvert », écrit Benoît de Peterborough, à propos des funérailles d’Henri II Plantagenêt, en 1189. Mais pour un roi, d’autres raisons poussent aussi à laisser le visage découvert :
 on souligne le rang du défunt, on le glorifie en exposant son corps ainsi, d’autant plus que celui-ci est revêtu d’habits royaux et des insignes de la majesté,
 on constate la réalité de la mort, et si on rend volontairement reconnaissable le corps, cela permet à la fois d’identifier facilement le défunt, et de dissiper toute rumeur quant à la raison du décès. C’est le cas de Philippe de Brabant, en 1430 : sa mort est due à une maladie tellement brutale, qu’on a soupçonné un empoisonnement. En laissant ainsi son visage découvert, qui ne présente pas de marques d’altération, on a pu prouver que la mort était rapide, mais naturelle. L’exposition publique du visage rend donc impossible contestation et mystification.

Cette exposition est facile quand le roi meurt près de Paris. C’est le cas de Philippe-Auguste, décédé le 14 juillet 1223, à Mantes, actuellement dans le département des Yvelines, à environ 30 kilomètres de Saint-Denis, et enterré dans la basilique dès le lendemain, 15 juillet. C’est plus difficile quand le roi meurt loin de Saint-Denis. Il faut rapporter le corps, ce qui prend du temps. Or, les gens du Moyen-Age ont très peu de temps devant eux, car, au bout de quelques jours, ils doivent faire face à un phénomène qu’ils connaissent bien : la décomposition du cadavre. Exposer un corps dont le visage est marqué par les effets de la décomposition est impossible.

Que faire pour retarder cette décomposition, alors qu’on a oublié les méthodes égyptiennes d’embaumement et de conservation des corps ? Ce manque de moyens efficaces va durer jusqu’au XVIIe siècle : les corps d’Henri IV et de Louis XIII, décédés respectivement en 1610 et en 1643, sont exhumés presque intacts par les révolutionnaires de 1793. Au Moyen-Age, on a recourt, comme souvent, à une méthode empirique : l’éviscération. On enlève l’intestin, dont on sait qu’il est l’organe le plus rapidement corruptible, et on embaume le corps avec du vin et des aromates, quelques fois du sel, dans l’espoir de retarder la décomposition. Cette opération n’est absolument pas anodine. Elle est faite en effet à partir de baumes et d’épices, qui sont des substances onéreuses. Elle permet ainsi de distinguer le corps du roi de celui du commun des mortels, qui n’est pas embaumé, faute des moyens financiers nécessaires. La décomposition est donc retardée, de seulement quelques jours il est vrai, mais ces jours gagnés sont parfois suffisants pour rapporter le corps du roi à Saint-Denis. Prenons l’exemple de Philippe III, décédé en 1285 à Perpignan. Le convoi qui rapporte le corps de ce roi quitte Perpignan le 11 octobre 1285. Il est éviscéré, et ses entrailles sont enterrées à Narbonne. Le convoi n’arrive à Saint-Denis que le 3 décembre, presque deux mois après son départ de Perpignan. Pourquoi un voyage aussi long ? Tout au long du parcours, les prélats, les chapitres des cathédrales, les ordres religieux, ont tenu à rendre un dernier hommage au roi, ce qui n’a pu que ralentir le trajet. Imaginons l’état du corps, même éviscéré, deux mois après la mort de Philippe III.

Comment faire alors pour lutter contre le temps et la décomposition du corps ? La réponse vient d’Angleterre. Elle consiste à fabriquer une effigie du roi défunt, présentée au moment du convoi funéraire. Cette solution est utilisée pour la première fois en France, pour les funérailles de Charles VI, en 1422. Le roi décède le 21 octobre 1422. On sait qu’il va falloir patienter pour l’organisation des cérémonies, et attendre le retour à Paris du duc de Bedford, régent du royaume pour le compte du nouveau roi d’Angleterre, Henri VI. Le roi d’Angleterre précédent, Henri V, est mort à Vincennes, le 31 août 1422. Le duc de Bedford est parti accompagner le corps d’Henri V, de Paris à Calais, en passant par Rouen. Il n’est de retour à Paris que le 5 novembre 1422. En attendant, en sachant que Charles VI ne sera pas enterré rapidement, et pour éviter les inconvénients de la décomposition de son corps, on a serti son cadavre dans un coffre de plomb, et on a réalisé une effigie à son image, en bois, avec les mains et le visage de cire. Ce mannequin sera exposé au moment du convoi funèbre, le corps du roi étant caché dans son coffre de plomb, lui-même à l’intérieur du cercueil. L’exemple récent de l’effigie du roi Henri V, mort en France, a été pris pour modèle.

Après tout, pourquoi pas ? N’oublions pas que le roi est sacré, qu’il a reçu une onction divine. Au moment de ses funérailles, vis-à-vis de quoi, l’émotion et les prières, de la part du peuple, peuvent-elles le mieux se manifester ? Vis-à-vis de son cadavre en décomposition, exposé à la vue de tous ? Difficile à croire. Non, une effigie revêtue d’habits somptueux, et accompagnée des insignes de la royauté, manifestera toujours mieux la majesté du roi qu’un corps, surtout en état de décomposition avancée.

C’est donc LA solution, utilisée pendant deux siècles, pour dix funérailles royales françaises, de celles de Charles VI, en 1422, à celles d’Henri IV, en 1610. Elle se prête très bien à la complexité du cérémonial funèbre, surtout à la Renaissance. En effet, à cette époque, celui-ci devient somptueux, le roi est de plus en plus mis en valeur. Or tout cela prend du temps, du point de vue de l’organisation de la cérémonie. Avec l’effigie, le temps est illimité.

On a dit beaucoup de choses sur ces mannequins :
 simple substitut au corps du roi ?
 ou illustration de l’adage « le roi ne meurt jamais » ? Cet adage signifie non pas que les rois ne meurent pas, évidemment, mais qu’il y a, toujours, permanence de la dignité royale, même pendant la période, qui peut être longue, allant de l’instant même du décès du roi, jusqu’au sacre de son successeur. Cette continuité se serait donc manifestée, progressivement, par l’effigie du roi. Cette deuxième hypothèse est celle avancée, dans les années 1960, par un universitaire américain, Ralph Giesey. Nous verrons ses arguments, illustrés par les funérailles de François 1er, en 1547.

VI – Les funérailles de François 1er

31 mars 1547 : mort de François 1er au château de Rambouillet.

1er avril 1547 : le corps du roi est démembré et embaumé. Le cœur et les entrailles sont placés dans deux coffres séparés. Le corps est déposé dans un coffre, lui-même enfermé dans un cercueil de bois.

24 avril 1547 : un lit de parade est apporté dans la grande salle du château de Saint-Cloud, où le corps a été transporté le 11 avril 1547. Ce lit est un simple matelas de paille. L’effigie du roi, qu’on a fabriquée depuis son décès, est déposée sur le lit. On a placé une couronne sur sa tête. A ses côtés, ont été disposés un sceptre et une main de justice. Le tronc, les bras, les jambes du mannequin sont en osier, et sont habillés de vêtements royaux. La tête et les mains sont en cire.

4 mai 1547 : dans la soirée, la salle est parée pour le deuil, notamment avec des tapisseries noires. On y apporte le cercueil, qu’on pose sur une estrade surmontée d’un dais noir. A la tête du cercueil, ont été placés la couronne, le sceptre, et la main de justice.

18 mai 1547 : Henri II, en tant que fils du roi défunt, vient rendre hommage à son père, et asperger la dépouille de François 1er d’eau bénite. Cette venue sera sa seule apparition officielle jusqu’au jour de son sacre. Il fait cette visite alors que l’effigie de son père a été placée dans une autre pièce. Le simple fait, pour Henri II, de ne pas être en sa présence, prouve, pour Ralph Giesey, qu’elle constitue bien la permanence de la dignité royale. Si Henri II s’était retrouvé face à elle, il y aurait alors eu deux rois de France dans la même pièce : le mannequin et lui. C’était strictement impossible. Il ne pouvait y avoir deux rois ensemble sous l’ancien régime.

Henri II porte, pour cette occasion, un manteau de couleur pourpre, c’est-à-dire de rouge tirant sur le violet. Cette couleur signifie-t-elle qu’il est en deuil ? La question des couleurs de deuil au Moyen-Age est complexe. On a en effet utilisé le rouge, le vert, le blanc, le bleu, le noir, cette dernière couleur devenant l’unique couleur de deuil seulement au 16ème siècle. Après la mort de sa femme, Anne de Bretagne, en 1514, Louis XII et la cour ont porté le deuil en noir. Ceux qui venaient à la cour sans porter du noir en étaient chassés, et priés d’aller se rhabiller. Quand Louis XII marie sa fille avec le futur François 1er, il oblige les deux fiancés à s’habiller en noir le jour de leur mariage. Un roi porte donc habituellement du noir quand il est en deuil, or, Henri II, lui, n’est pas en noir, mais en pourpre, qui est plutôt une couleur d’affliction. Un roi peut-il, doit-il, porter le deuil de son prédécesseur ? Non, et c’est là une preuve de plus, selon Ralph Giesey : Henri II ne peut porter le deuil, car il n’est pas en deuil, puisqu’il y a toujours permanence de la dignité royale, incarnée par l’effigie présente dans la pièce voisine.

22 mai 1547 : le cortège funèbre se met en route pour la messe à Notre-Dame, en partant de l’église Notre-Dame-des-Champs, qui est, à Paris, le point de départ habituel d’un cortège funèbre. Henri II n’en fait pas partie, respectant ainsi à la lettre un précepte, qui s’est développé peu à peu, selon lequel un nouveau roi n’a pas à se présenter aux funérailles de son prédécesseur. Les premiers rois capétiens n’avaient pas à se poser cette question : le successeur devait se présenter aux funérailles du prédécesseur, aussi pour se montrer, pour s’affirmer face à d’éventuels prétendants au trône. On n’en est plus là en 1547 : les Valois n’ont rien à craindre pour le pouvoir. De 1380 à 1483, il y a eu quatre funérailles royales, auxquelles le successeur du défunt ne participe pas, à chaque fois pour de bonnes raisons. En 1498, Louis XII, qui pourtant n’a pas de raison valable, ne se présente pas à l’enterrement de Charles VIII. Il choisit de s’en tenir à l’écart, volontairement. A cette époque, l’effigie du roi défunt, présente dans le cortège funèbre depuis 1422, prend de plus en plus d’importance. Il semblerait qu’à l’occasion des funérailles de Charles VIII, sa fonction aurait changé : du substitut utilitaire au corps du défunt, à l’origine, elle serait devenue, pour la première fois en 1498, l’illustration de la permanence de la dignité royale. Louis XII a dû s’interroger : peut-il participer au cortège funèbre de Charles VIII, alors qu’elle y est aussi présente ? Non, d’après Ralph Giesey. Puisqu’elle incarnerait la dignité royale, il y aurait deux rois en présence l’un de l’autre, ce qui est impossible, d’autant plus qu’elle est parée des regalia : couronne, sceptre, main de justice. C’est alors qu’interviennent les tenants de l’effigie – substitut au corps du roi décédé, qui ont une autre explication pour justifier l’absence d’Henri II : le roi apparaît rarement à des funérailles, même à celles des membres de sa famille très proche. C’est ainsi que Charles V et Louis XII n’étaient pas à l’enterrement de leur femme respective, et que Charles VII, Louis XI, et Charles VIII, ne se sont pas présentés aux funérailles de leur propre mère. Comme s’il y avait un risque de souillure émanant du cadavre. Or, le roi est sacré, il a reçu une onction. Pourquoi toutes ces questions et ce cérémonial compliqué ? Henri II est déjà roi, il l’est devenu à l’instant même où son père est mort, le 31 mars 1547. De ce jour, il a daté le début de son règne. Depuis ce jour, également, il prend des édits en son nom propre. Mais Henri II, s’il est roi, ne l’est pas pleinement, selon Ralph Giesey : il n’est pas encore investi de la dignité royale, symbolisée par les regalia. Lors du cortège funèbre de François 1er, qui est détenteur de ces insignes de la royauté ? C’est le mannequin. Henri II, lui, ne les recevra que le jour de son sacre, le 26 juillet 1547, soit quatre mois après la mort de son père. Pour le moment, il ne peut rivaliser avec l’effigie. Henri II va quand même assister, par curiosité, au passage du cortège funèbre, mais incognito, et bien caché dans une maison de la rue Saint-Jacques, afin de ne pas être en présence de sa rivale.

Quelles sont les principales composantes du cortège, qui s’étend sur 1500 mètres ?
 un chariot porte le cercueil,
 les pièces d’honneur (gantelets, heaume, bouclier, cotte d’armes, éperons), portées par des chevaliers. Ce déploiement d’armes est lié à l’essor de la chevalerie. Il glorifie le défunt et sa renommée. Ses funérailles se distinguent ainsi des cérémonies communes. La valeur militaire du mort est soulignée, comme son appartenance au monde chevaleresque.
 l’épée, portée par un homme à cheval. Elle aussi est remise au roi au moment du sacre. Elle lui permettra, symboliquement, de défendre son peuple.
 l’effigie, posée sur la litière, portée par les hanouars. Lors de funérailles antérieures, la litière de l’effigie a été quelquefois portée par les présidents du Parlement de Paris, dans leur uniforme de fonction, de couleur rouge. Eux non plus n’étaient pas en deuil. Puisque le roi ne meurt jamais, la justice, rendue par les parlements, au nom du roi, non plus.
 le dais, orné de fleurs de lys, habituellement au-dessus de la tête du roi lors d’un défilé en ville. Ici, il a été placé derrière l’effigie, pour qu’elle soit mieux vue.
 après le dais, les princes du grand deuil (quatre ducs et un marquis), qui représentent le deuil de la famille de François 1er, puisque Henri II ne peut pas assister au cortège funèbre. En fait, ce cortège comporte trois parties bien distinctes :
 autour du chariot portant le cercueil, c’est un convoi funèbre classique,
 à l’arrière, les princes du grand deuil, qui représentent la famille affligée,
 au centre, autour de l’effigie, aucune trace de deuil : comme si le roi, encore vivant, faisait une entrée triomphale en ville.

A Notre-Dame de Paris, l’effigie est placée sur le cercueil, dans une chapelle ardente. La messe est brève.

23 mais 1547 : le cortège funèbre, toujours dans le même ordre, se dirige vers Saint-Denis, distante de huit kilomètres.

24 mai 1547 : Derniers rites dans la basilique de Saint-Denis. Le cercueil est descendu dans le caveau. Les pièces d’honneur sont disposées sur le cercueil, de même que l’épée et les regalia. La bannière de François 1er est abaissée, pour que son extrémité touche le cercueil. Le roi d’armes pousse alors le fameux cri : « Le roi est mort ». François 1er perd donc ainsi officiellement sa dignité royale, presque deux mois après sa mort. Le roi d’armes ajoute ensuite : « Vive le roi, vive Henri, deuxième du nom, par la grâce de Dieu roi de France, à qui Dieu doint bonne vie ». C’est le fameux cri « Le roi est mort, vive le roi », poussé uniquement dans la basilique de Saint-Denis, sous différentes formes, des funérailles de Charles VI jusqu’à celles de Louis XVIII, en 1824. La bannière et l’épée sont relevées bien haut, pour montrer que le nouvel investi de la dignité royale sera Henri II. Les pièces d’honneur seront enlevées plus tard du caveau, comme les regalia, pour réapparaître au moment du sacre.

Conclusion

Comme on l’a vu, les arguments de Ralph Giesey semblent convaincants : cette fameuse effigie incarnerait donc bien la continuité de la dignité royale. Quoi qu’il en soit, cette théorie est récente : aucun théoricien ou juriste, médiéval ou de la Renaissance, n’a assimilé ces mannequins à cette fonction. Pour Jean du Tillet, spécialiste au 16ème siècle des funérailles royales, l’effigie n’était qu’un substitut au corps du défunt, le figurant dans toute sa majesté, comme s’il était encore en vie, et favorisant émotion et prières en son honneur.

Auteur : Pierre Baudin E-mail : baudin.pierre.choisy@orange.fr

Bibliographie :

Philippe ARIES, L’homme devant la mort – 1. Le temps des gisants, Points, 1977
Alain ERLANDE-BRANDENBURG, Le roi est mort, étude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu’à la fin du XIIIe siècle, Droz, 1975
Murielle GAUDE-FERRAGU, D’or et de cendres, la mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen-Age, Presses Universitaires du Septentrion, 2005
Ralph GIESEY, Le roi ne meurt jamais, Flammarion, 1987

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