Les bruits de bottes et la guerre (1/3)

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jeudi 29 août 2013

Il apparaît de plus en plus probable que dans quelques jours, la France déclare la guerre à la Syrie. On évoque des frappes ciblées. Le concept de frappes chirurgicales a fait son temps, surtout quand on a constaté qu’elles faisaient des victimes collatérales. Évoquer des frappes ciblées est assez lénifiant. D’abord parce que toutes les frappes sont ciblées : imagine-t-on les militaires tirer au hasard ? Mais en disant cela on cherche à signifier que les frappes feront peu de morts, voire pas de mort du tout, parce que nous aurons choisi les cibles avec soin. On veut ainsi évoquer l’idée d’une guerre sans mort, sans cadavre, sans sang. La guerre devient aseptisée, pasteurisée. Si l’on a pu voir les corps des victimes des supposés gazages, nous ne verrons jamais les corps des personnes mortes dans les frappes ciblées. Et pourtant, l’odeur du sang séché est particulièrement insupportable. C’est une odeur à la fois acre et putride. Quiconque s’est déjà blessé a dû sentir cette odeur. Il faut l’imaginer non pas avec quelques gouttes d’une blessure, mais avec les litres d’un corps, multiplié par l’ensemble des corps morts. L’odeur des champs de bataille est toujours atroce. Mais cette odeur, cette réalité, ne passe pas à la télévision. Et quelle différence, dans les images que nous voyons, entre la réalité et un film ? Nous sommes tellement saturés de violence guerrière au cinéma que nous ne pouvons plus distinguer ce qu’est la véritable guerre.

Après l’expression « frappes ciblées », une autre expression est tout aussi intrigante, celle de « dernière guerre ». Quand on évoque la dernière guerre, on pense à la Deuxième Guerre mondiale, comme si la France n’avait plus jamais été en guerre depuis 1945. Quand on évoque les anciens combattants, on pense aux jeunes, désormais vieux, qui ont fait la campagne de France ou le débarquement de Normandie. La dernière guerre, c’est le Mali, c’est-à-dire la guerre actuelle. De la même façon que l’on cherche à effacer la mort en parlant de frappes ciblées, on essaye d’effacer la guerre, en détournant le sens de la dernière guerre. Ce faisant, nous oublions l’Indochine, l’Algérie, les Balkans, l’Afghanistan. La France a pris part à davantage d’opérations militaires depuis 1991 que pendant toute la Guerre froide. Et pourtant nous serions en paix, et pourtant le budget de l’armée ne cesse de diminuer.

Cela nous amène à la troisième litote, celle de ministère de la Défense. On ne dit plus ministère de la Guerre, voire ministère en charge de l’armée, mais Défense. Cela permet de rester sur une tonalité pacifique, de chercher à dire que l’on se défend. Mais quand on bombarde la Syrie ou la Libye, contre qui se défend-on ? L’ennemi est-il si loin ou à l’intérieur de nos territoires, là où la police ne peut plus aller ; ni même l’armée. Il est fort probable qu’il y aura moins de soldats blessés ou tués en Syrie, qu’il y en a eu sur le territoire français par des islamistes ou des voyous.

On ne parle pas non plus de déclaration de guerre. La France ne va pas déclarer la guerre à la Syrie, elle va mener des frappes ciblées. Mais quand on bombarde un pays, n’est-ce pas une déclaration de guerre ? La France, actuellement en guerre au Mali, va donc bientôt entrer en guerre contre la Syrie.

Résumons-nous. On nie la réalité de la mort, on nie la réalité de la guerre, on nie la réalité de la violence et du conflit. On nie donc tout simplement la réalité. C’est ce qui s’appelle un aveuglement, ou un mensonge. Or la guerre est ce qu’il y a de plus brutal, de plus violent en ce qui concerne le choc de la réalité. Quand Clausewitz disait que la guerre c’est la continuation de la politique par d’autres moyens, nous constatons que cela s’applique complètement à ce que nous sommes en train de vivre. La politique actuelle est dans le déni constant de la réalité, et dans le mensonge érigé en doctrine. On nie le chômage, le choc des hausses d’impôts, la difficulté des entreprises. La négation de la réalité se retrouve désormais dans la guerre et dans la mission que l’on incombe à nos soldats.

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