Les apéritifs oubliés

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mercredi 4 septembre 2019

Le tour des France des apéritifs permet de traverser l’ensemble des régions. On en trouve de deux catégories : soit des vins doux naturels, soit des décoctions de plantes (quinine ou autres). Très consommés jusque dans les années 1970, ils ont aujourd’hui laissé la place aux whiskys et aux sodas. Renouant avec la mode du retour des oubliés et des codes publicitaires vintage, certains essayent de retrouver leur gloire passée. Dans les années 1950, le Saint-Raphaël finance une équipe cycliste et emploie Raphaël Geminiani pour faire la réclame de cette boisson à base de quinine.

Le Saint-Raphaël fut inventé à Lyon en 1830 par Adhémar Juppet. Toujours à base de quinine, outre le Picon, le Byrrh, « boisson hygiénique » et revigorante fabriquée à Thuir et vendue en pharmacie, avant de trouver la route des cafés. Elle connaît son apogée dans les années 1930. L’Ambassadeur a marié la quinine, l’orange et le café, jouant sur les codes de l’excellence à la française pour s’imposer sur les tables bourgeoises. La racine de gentiane a produit deux grands apéritifs : la Suze et l’Avèze. L’amertume typique et appréciée par ses amateurs peut être diminuée par l’ajout d’eau ou de glaçons. Mais elle peut aussi se prendre en digestif pour faire passer les riches nourritures montagnardes.
La catégorie des vins mutés regorge de nombreuses marques. En 1904, Edmond Bartissol créa un vin muté auquel il donna son nom. Soleil, Languedoc et Méditerranée, le triptyque gagnant. Le plus célèbre étant le Dubonnet, dont la publicité « Dubo, Dubon, Dubonnet » s’étalait dans le métro et sur les murs des nationales.

Le succès de ces apéritifs ? Le goût d’abord. Les vins mutés (improprement appelés vins cuits), sont réalisés en ajoutant de l’alcool au moment de la fermentation du vin pour bloquer la transformation des sucres en alcool. Cela donne donc des vins plus alcoolisés et plus sucrés. Sur cette base de vin muté, les apéritifs ajoutent des décoctions de fruits ou d’arômes : orange, cacao, quinine, etc. Ils pouvent être bus pur ou allongé. Mais la force de ces apéritifs est d’avoir créé un univers autour d’eux grâce à la publicité naissante. S’entourant d’affichistes de renom, ils ont réussi à créer une charte graphique à la fois belle, originale et percutante.

Nombreuses de ces réclames ont été peintes sur les murs des maisons le long des routes et peuvent encore s’apercevoir, quoiqu’effacées par le temps. C’est la grande force de Dubonnet. Peu en ont bu, mais beaucoup connaissent le nom grâce à sa réclame géniale, citée notamment par Louis Aragon dans Le paysan de Paris. Saint-Raphaël s’est appuyé sur l’affichiste Charles Loupot pour illustrer la présence de la marque à l’exposition internationale de Paris (1937). Les apéritifs ont su être présents dans les cafés, alors principaux points de vente, avant d’aller dans le domaine du sport. Être svelte, sportif et boire X, tel était le message véhiculé. Ils étaient alors à la pointe de la modernité, avant de devenir ringards, balayés par de nouvelles pratiques alimentaires. Aujourd’hui, c’est la nostalgie qui peut leur permettre de revenir et ainsi faire que les millenials s’entichent des apéritifs d’antan.

Article paru dans L’Incorrect

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