Les andouillettes 5A

Vous êtes ici : Accueil > Articles > Les andouillettes 5A

dimanche 1er juin 2014

Dans la vie il y a deux types d’hommes : ceux qui pensent à HEC et à l’ENA depuis leur plus jeune âge, et ceux qui pensent aux chevaliers du Tastevin et aux andouillettes 5A. Les premiers se condamnent au désespoir, au malheur et à une vie sans issue. Les seconds peuvent espérer célébrer sur terre quelques gouttes de joie et de bonheur.
Joie de l’enfant quand il découvre pour la première fois, sur la carte du bistrot où l’a emmené son père, qu’il existe des andouillettes certifiées par l’Association Amicale des Amateurs d’Andouillette Authentique. Espérance de ce même enfant de pouvoir un jour faire partie de ce club. Pensez donc, une vie à goûter le meilleur, à décerner des médailles et des mentions, et à procurer de la joie chez tous les amateurs qui pourront se fier au label et déguster de vraies andouillettes. Cette amicale participe pleinement au bien commun, elle permet de rendre heureux les hommes, elle assure la félicité à ceux qui en font partie. Seule la France peut se targuer de fabriquer des andouillettes ; en dehors des Français, rares sont ceux qui peuvent en manger.

On peut disserter longtemps sur la meilleure façon de la préparer, mais c’est encore au barbecue. Sur un lit de braises rougeoyantes, avec un léger courant d’air qui vient lécher les flammes, quand la chaleur rend impossible l’approche à main nue de la plaque, déposez délicatement l’andouillette sur le pal. Elle grille, le gras suinte, il avive la flamme, et la peau se colore d’un brun caramélisé qui éveille l’appétit. On se pourlèche déjà en pensant à l’avance au repas merveilleux. Le code de la charcuterie, d’heureuse mémoire, définit des appellations régionales : andouillettes de Troyes, de Jargeau, du Périgord, du Beaujolais … Certaines se préparent avec de la fraise de veau, mais depuis l’épidémie de la vache folle, cette partie est interdite à la consommation. Merci aux normes qui veillent sur notre santé. On ne trouve plus que des andouillettes réalisées à base de porc ; et notamment de l’intestin, roulé, organisé, pour accueillir du vin blanc, des épices, des oignons, d’autres morceaux de viande. Cette andouillette apprêtée se livre telle quelle à la consommation des amateurs. Ledit amateur sait la débusquer dans les restaurants gastronomiques. Il repère la bonne viande, le produit rare et fidèle, quand tant d’autres courent vers des plats tapageurs et marketings. L’amateur déguste en douce, seul, entre connaisseurs, ces plats de luxe, ces viandes puantes et réticentes, que les néophytes dédaignent.

Avec quoi la boire ? Un rouge simple, gouleyant, de la terre, un rouge de bistrot, ce qui est la noblesse ultime. Un gamay, où comment associer les monts du Beaujolais aux prairies de l’Aube. Un blanc de Loire, sec, minéral, ensoleillé par cette aube matinale qui cajole les bords de l’auguste fleuve. Plus subtile, plus provocateur, avec un champagne. La finesse des bulles épouse celle de la viande grillée. La légèreté du chardonnay suit celle du porc et de son estomac. À côté du plat canaille, la boisson aristocratique. L’alliance du peuple et de la noblesse. À boire entre vrais amateurs, ceux qui peuvent comprendre cette provocation, qui l’assument, qui la revendiquent même. Des bulles légères, dans une flute, autour d’un barbecue où rougeoient la viande et les andouillettes. C’est un plat du nord, un plat d’hiver, et pourtant on l’associe au barbecue, donc à l’été. À manger sur la restanque, accompagné des cigales qui jouent dans la campagne.

Le barbecue fait de sarment de vignes, la grande bleue face à nous, la grande bleue et ses histoires, ses mythes, ses passions et ses guerres. Du haut de notre balcon, nous contemplons l’histoire, nous admirons les crimes et les passions d’un peuple qui se bat et qui verse le sang. Un peuple uni par son vin, par sa viande, par sa table ; un peuple qui trouve une raison d’être par sa gastronomie. Nous dégustons un rouge frais de Bandol. La puissance de vignes qui n’ont pas peur du soleil, la puissance d’une histoire qui n’a pas honte d’être elle-même, la puissance d’une civilisation qui s’admire et se sait supérieure aux autres. La puissance d’hommes accoudés au balcon de la Méditerranée, qui regardent vers la Corse et vers la Sardaigne, qui regarde vers Malte et vers la Sicile, et dont le regard porte même jusqu’à Chypre et jusqu’aux rivages de l’Égypte. La puissance d’hommes qui admirent leur histoire, leur culture, qui jettent la repentance dans les bas-fonds de leur honte, et qui dégustent ce vin issu du travail des hommes et des siècles. Un terroir de pierres sèches, de canicules, de coups de soleil, de cyprès dévastés, de murailles oubliées. Un terroir d’hommes, d’honneurs, de femmes qui se battent. Un terroir proche de la terre, de leur terre, qu’ils défendent et protègent. Un terroir qu’ils ne veulent ni refouler ni rejeter.

À travers des plats canailles, ouvriers, paysans, des plats qui se font et qui prennent au corps, des plats constitutifs de notre humanité, c’est l’homme qui gagne, et c’est la barbarie qui régresse et qui perd.

Une dernière bouchée d’andouillette, c’est si simple et si léger. Une dernière bouchée de cette charcuterie qui nous forme et nous bâtit. Une dernière bouchée pour la route, un dernier verre de ce vrai vin ; un ultime verre pour regarder tout en haut des étoiles.

Thème(s) associés :

Par Thèmes