Les Celtes et les Gaulois

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mardi 12 août 2014

Un article de Bertrand Le Tourneau sur les Celtes et les Gaulois.

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En raison d’une profonde méconnaissance des subtilités d’ordre ethnographique, la plus grande confusion règne de longue date dans les nomenclatures des peuples antiques qui gravitaient hors du domaine des Anciens. C’est ainsi que les Grecs tendent à tout rapporter à une entité unique, celle des Scythes ; ils leur incorporent nombre de nations qui relèvent de la mouvance des Celtes.

Les Romains les suivent sur cette voie. Par exemple, dans son Histoire Naturelle (VI, 50), Pline dresse une longue liste de peuples asiatiques dans un joyeux désordre ; elle fait fi non seulement de leur véritable nature ethnique, mais encore de leur localisation géographique précise. D’aucuns pourront s’étonner qu’il soit ici question de l’Asie, alors que le cliché relatif à « nos ancêtres les Gaulois », hante encore la mémoire collective. C’est que les Modernes s’en tiennent à la vision réductrice héritée des Romains, focalisés sur la conquête des Gaules.

Le cadre se trouve posé. A l’orée de cette réflexion, force est de constater que la plus grande confusion règne encore dans les esprits à leur sujet. En effet, si certains reconnaissent que les Celtes proprement dits précèdent les Gaulois sur notre sol, d’autres affirment à l’inverse que les Gaulois les devancent... A la suite de Strabon (Géographie, VII, 1, 2), d’aucuns prétendent même que les Germains sont de purs et vrais Gaulois, ou qu’il n’existe guère de différence entre eux.

Il s’avère impossible de sortir de ce cercle vicieux, sans préciser ce que recouvrent au juste les noms ethniques de Celtes et de Gaulois. Or, nouvel écueil, nouvelle dérive, voici que l’affirmation selon laquelle ils seraient équivalents et interchangeables, tend à clore le débat avant même qu’il ne soit engagé. Et, comme c’est étrange : la thèse qui conclut à l’impossibilité d’en connaître la signification, rencontre encore des partisans. Mais rien n’est plus contraire à la réalité : l’historien ne saurait travailler en vase clos, et se passer par exemple des lumières tirées de la linguistique. Le devoir de cautèle qui s’impose à tout esprit soucieux de la recherche sincère de la vérité, lui enjoint aussi de ne pas se focaliser sur le mot à mot des textes, travers fort répandu, mais d’en rechercher le sens profond, caché. Au demeurant, la signification intrinsèque des noms de peuples est connue de longue date. Pourquoi ne pas en tenir compte ?

A ce stade, nous devons fournir un petit effort supplémentaire : les Grecs sont-ils les inventeurs de cette dénomination, ou sont-ils des imitateurs ? Or, il semble qu’il s’agit de la traduction pure et simple d’un nom indigène.

Voilà comment l’Asie s’invite en force au débat. Car, d’après Hérodote (Histoires, III, 116 et IV, 37), les Arimaspes paraissent dans la chaîne lointaine de l’Altaï. Celle-ci sépare la Sibérie orientale de la Sibérie centrale. Les Grecs étaient conscients de cet emprunt, car les Arimaspées, poème épique hélas perdu d’Aristéas de Proconnèse que cite Strabon (I, 12, 10), se seraient appliquées, non seulement aux Arimaspes originels, généralement présumés mythiques, mais encore aux Celtes occidentaux.

Au passage, soulignons la puissance d’évocation de la langue celtique, et le réalisme de ses définitions descriptives et imagées. Venons-en à présent au nom de Gaulois. D’ores et déjà, l’on pressent que la démonstration précédente révoque en nullité la thèse éculée selon laquelle les termes Celtes et Gaulois seraient strictement équivalents. C’est sans doute la raison pour laquelle des traducteurs de textes grecs se permettent la liberté de remplacer ce terme par Gaulois ! Est-ce bien raisonnable, et les racines linguistiques sont-elles les mêmes ? Hors des Gaulois, point de salut ; la récente réaction inverse, selon laquelle il conviendrait d’« en finir avec les Gaulois », semble à son tour quelque peu excessive.

La critique peine d’ordinaire à en situer l’origine, car les descriptions d’Hérodote sont souvent jugées fantaisistes. En effet, parmi les peuples étranges dont il révèle l’existence, figurent les étonnants « hommes aux pieds de chèvre » (IV, 25). Qui peut croire à de telles billevesées ? De réputation fabuleuse, ils résident dans les montagnes de l’Oural, qui séparent la Sibérie centrale de l’Europe. Mais, en cette affaire, comme d’ailleurs en tant d’autres, pourquoi s’obstiner à passer au crible de la froide rationalité de l’homme moderne, les descriptions imagées à la mode antique ?

Cette approche innovante permet de s’affranchir des dérives relatives à un « mythe celte » ou à un « mystère celte », qui n’existent qu’en apparence, ou en raison d’une incompréhension persistante des arcanes du vaste monde perdu des Celtes : – Comment croire que les régions transrhénanes en constituent le berceau, selon une thèse courante ? Il s’agit en réalité de terres de confluence de migrations qui ont aussi emprunté la voie du sud. – Comment un peuple peut-il surgir de nulle part en raison des limitations de la science archéologique, et se trouver soudainement aux quatre coins de l’Europe ? Nous avons commencé à lever cette hypothèque. Au sein d’un groupe ethnique foisonnant, les Gaulois véritables ne sont pas les premiers venus. – Le celte est l’une des langues européennes les plus archaïques, ce qui incite à penser que ses locuteurs devaient peupler l’Europe de longue date, et pas seulement depuis l’âge du fer, thèse habituellement retenue. La présente étude pourrait constituer le premier volet d’une série, qui s’attachera à démystifier l’étonnant phénomène celte.

Bertrand Le Tourneau

sur Google : site de Bertrand Le Tourneau. Nouvelle Histoire des Celtes

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