Le vin : entre nature et culture

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dimanche 19 juin 2016

Délectation ou complexification : savoir gouter le vin

La littérature œnophile impose une compréhension de plus en plus complexe du vin. La mode est à la vivisection savante des arômes : savoir déterminer ici du poivre blanc du Sichuan, là de la poudre de rose fanée et dans tel grand blanc des zestes de calcaire tertiaire citronnés. Tout cela partait de bons sentiments : essayer de donner une approche scientifique du vin, déterminer des catégories d’arômes, rationaliser le discours et la présentation. Tout cela doit être conservé. En revanche, dans les guides de dégustation comme dans les revues, on dérive très souvent vers une complexification qui nuit au vin et qui terrorise le néophyte qui essaye de découvrir ce monde. Si votre palais n’est pas encore capable de détecter la framboise de Suisse ou la pierre à fusil de Sologne, alors vous n’êtes pas apte à prétendre aimer le vin.

De même, ce type de dégustation fait de plus en plus table rase du travail du vigneron et de l’histoire du vignoble. Le terroir est de plus en plus réduit au sol, alors qu’il englobe également le vigneron et l’histoire. Déguster devient un acte de plus en plus coupé du plaisir pour être uniquement tourné vers la reconnaissance scientifique de saveurs inventées. Il y a là un danger, qui est de couper le vin de sa base humaine et culturelle, et de décourager ceux qui essayent de mieux le connaître.

Heureusement des connaisseurs tentent de développer l’autre dégustation, qui est celle de la délectation. C’est notamment le parti pris et défendu par Azélina Jaboulet-Vercherre dans son nouvel ouvrage : Le vin, entre nature et culture. L’auteur est doté d’une immense culture dans le domaine de la littérature viticole et l’un des intérêts principaux du livre est de pouvoir lire les nombreuses citations qui parsèment les pages, issues de la littérature savante, agronomique ou poétique, de l’Antiquité à nos jours. Au fil des pages, on rencontre Platon, Aristote, Steiner, Jefferson et une myriade de vignerons. Ces grands auteurs sont convoqués pour défendre le vin tel qu’il est, c’est-à-dire issu d’un terreau culturel. Boire, c’est d’abord boire à plusieurs, c’est-à-dire partager.

Le verre et la bouteille sont les outils de la transmission et de l’échange. Boire, c’est aussi voyager, rencontrer des vignerons différents, aller de terroirs en terroirs, partager des histoires. La dégustation n’est donc pas une dissection technique, mais un exercice culturel. On ne déguste pas mieux quand on est capable de reconnaître tous les flacons du nez du vin, mais quand on peut localiser les appellations, connaître les caractéristiques des différents cépages, savoir comment le produit se fabrique et pouvoir mettre des mots sur ses sensations personnelles. La délectation est donc première et elle est au service de la culture du vin. Le vin est un tout, comme les racines de la vigne et ses feuilles orientées vers le ciel, il rattache les hommes à l’essentiel : d’abord à eux-mêmes, puis aux autres et à la longue histoire de tous les ancêtres qui ont participé à la transmission et à l’amélioration du vin.

L’auteur défend une conception décomplexée de la dégustation. Chaque amateur est capable d’avoir des sensations, d’éprouver du plaisir en buvant, de densifier sa délectation en apprenant à mieux connaître les flacons qu’il partage. Du reste, toute dégustation est temporelle : elle s’inscrit dans un moment et ne peut être réitérée. « Décrire un vin équivaut à décrire un nuage. Ce qu’on peut écrire à un moment précis sur une bouteille que l’on boit ne vaut que pour cette bouteille-là, ce jour-là » écrivait le grand vigneron alsacien Gérard Oberlé.

Boire avec délectation, c’est donc tout à la fois conjurer le temps et s’inscrire dans une temporalité fluctuante et mouvante.

Gérard Oberlé, Itinéraire spiritueux, Grasset, 2006, p. 176.

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