Le terroir est-il de droite ?

Une question posée par un lecteur de ce site : le terroir est-il de droite ? La réponse est très complexe et mériterait un ample développement. Je me bornerai ici à quelques considérations.

D’abord, la méfiance face aux étiquettes. Droite et gauche sont des notions beaucoup plus complexes qu’on l’imagine habituellement. Droite et gauche ne veulent rien dire, ces simplifications empêchent tout raisonnement. Je renvoie pour cela à deux articles précédents : Les libéraux sont-ils marxistes ? et Modernité et Modernisme, paru en novembre dans la revue Cantate.

Pourtant, il est vrai que l’on assimile le terroir à la droite. Pourquoi ? Parce que dans le corpus intellectuel véhiculé par ce courant de pensée, et qu’il vaudrait mieux nommer conservateur, l’attachement à la patrie, à la tradition, au local, semble plus prégnant que dans la gauche socialiste et mondialiste, qui fait fi des cultures et cherche à noyer les peuples dans le multiculturalisme. Généralement, quand on pense à cela, on pense de suite à la fameuse formule du Maréchal Pétain : "La terre ne ment pas", et Pétain est souvent associé à la droite, voire à l’extrême droite. Rien n’est plus faux. Pétain est un républicain radical bon tain, imbibé de Troisième République. Il fut porté au pouvoir par le Front Populaire, justement parce qu’il était républicain. Son personnel politique est composé de socialistes, de radicaux, de communistes, mais très peu d’hommes de droite. L’adhésion de Maurras, dont on peut se demander s’il était " de droite" ne doit pas cacher la forêt.

En réalité la terre est une notion fondamentalement "de gauche" dans le sens de républicain. C’est la gauche qui a inventé les terroirs, dans sa loi de 1935, contre l’avis des hommes politiques de droite. Je ne reviendrai pas ici sur l’article de L’origine des terroirs.
C’est la gauche aussi qui a inventé le nationalisme et le patriotisme, qui a exalté l’armée, et qui a substitué l’amour de la patrie à l’amour de Dieu. C’est la gauche qui a provoqué la grande guerre fratricide de 1914 où tant d’hommes sont morts pour sauver un lopin -leur lopin- de terre. A cet égard Maurice Barrès est beaucoup plus républicain qu’il ne le pense. Si l’on veut donc politiser la notion de terroir, c’est à la gauche qu’il faut la donner. Du reste c’est une notion tout à fait immanentiste, en pleine conformité avec l’idéologie politique qui consiste à émettre des idées et à soumettre la réalité à ces idées, plutôt que d’observer la réalité et, à partir de là, d’émettre des idées. L’immanentisme est une notion "de gauche", si tant est, encore une fois, que ce mot est un sens. Vous pouvez consulter à cet égard le chapitre 4 de L’histoire du vin, et tout un chapitre de mon Dossier Galilée est consacré à ce problème crucial.

Voilà pour ces quelques brèves remarques, mais le sujet est passionnant et dépasse largement le cadre de la querelle politique. Il manque à cet égard une thèse sur la terre dans le discours politique de 1870 à 2000. Ce serait un travail fondamental pour bien appréhender notre vie politique. Si un étudiant souhaite se lancer dans ce travail, je suis prêt à l’aider !