Le temps pascal, le vin et les racines chrétiennes

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mercredi 30 mars 2016

Le temps pascal prolonge nécessairement le mystère de la Semaine Sainte : mystère de l’institution de l’eucharistie, mystère de la Résurrection. A ces deux événements le vin est convié. Que le Christ ait choisi le vin comme boisson pour devenir son sang ne doit rien au hasard. Il aurait pu prendre de l’eau, et la symbolique aurait été très belle, car l’eau est source de vie, mais c’est le vin qu’Il choisit. Le vin et la vigne sont omniprésents dans la Bible, retenons ici quelques moments majeurs.

La vigne de la connaissance du Bien et du Mal

Le livre s’ouvre d’abord sur l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, associé à tort à un pommier à cause d’une mauvaise traduction : pomma signifie le fruit, comme dans pomme de terre ou pomme de pin, et non pas la pomme, malum en latin. Les Pères de l’Eglise ont très tôt reconnu la vigne dans cet arbre, et les fouilles archéologiques ont montré que la vigne était présente en Arménie 6000 ans avant Jésus-Christ, sur les lieux mêmes où s’est échoué Noé. La vigne est donc l’arbre qui ouvre la Bible, et c’est aussi celui qui le termine. Dans son Apocalypse saint Jean évoque « l’arbre de vie qui donne douze fois du fruit », arbre lui-aussi associé à la vigne.

Le vin offert après le Déluge

La vigne est également présente après le déluge, symbole de purification et annonce du baptême ; Noé en fait les frais en s’enivrant à ces fruits qu’il ne maîtrise pas. Le vin se retrouve à Cana, en ouverture de la vie publique du Messie, le Jeudi Saint, comme signe sensible de notre rédemption, et aussi le vendredi, sur le bois de la croix. Il faut revoir les magnifiques tableaux allégoriques du Moyen Age que l’on appelle « pressoir mystique » . Le Christ crucifié est placé dans un pressoir à vis, ses membres sont torturés, et de son corps coule le sang, récupéré dans des calices d’or par des évêques et par des prêtres. Le Christ est la vraie vigne, vigne si réelle que c’est lui-même qui est mis au pressoir. Ainsi la vigne, source de notre chute par la désobéissance d’Adam et Eve, devient la source de notre salut, par l’obéissance de Jésus. La crucifixion est le point culminant de la présence constante du vin et de la vigne dans la Bible.

Vignobles d’Eglise

Cette forte charge symbolique, conjuguée à l’impérieuse nécessité de posséder du vin pour célébrer la messe, a conduit les évêques et les moines à développer un vignoble de qualité, en France et en Europe. Bien sûr les vignobles existent avant eux, les Grecs et les Romains sont friands de vin, mais c’est eux qui ont maintenu la viticulture au moment de l’effondrement politique de l’Empire, et qui l’ont aussi considérablement développée et améliorée.

L’exemple du vignoble bourguignon est connu de beaucoup. Le Clos Vougeot est le fruit du travail acharné des moines cisterciens pour transformer une terre ingrate en terroir de haute qualité. C’est d’ailleurs à Vougeot que fut perfectionné le pressoir, machine qui permit de produire davantage de vin sans en diminuer la qualité. A Vougeot on peut ajouter le champagne, et le rôle mythique de dom Pérignon et de dom Ruinart à l’abbaye de Hautvillers. Si ce n’est pas à proprement parler dom Pérignon qui a inventé le champagne il a toutefois joué un rôle majeur dans la naissance de la renommé viticole de cette région froide et humide, presque inapte au vin.

Le vin de Bordeaux

Ces deux exemples ne sont pas les seuls. Bordeaux, qui a la réputation d’être un vignoble de bourgeois et d’urbains, a lui-aussi une originale ecclésiale. Si on excepte le Médoc, créé de toute pièce au XVIIe siècle sur des terrains marécageux, les grands crus bordelais se trouvent dans les limites géographiques de l’ancien diocèse de Bordeaux, et ce sont les évêques de la ville qui l’ont développé. Quant à Saint-Emilion, nous nous trouvons sur les terres du monastère fondé par l’ermite Emilion au VIIIe siècle.

Celui du Rhin

En Allemagne, le cépage riesling, si apprécié pour ses arômes complexes, fut créé à l’abbaye d’Eberbach au XVIIe siècle, abbaye cistercienne située en lisière du Rhin. Sa voisine Fulda est à l’origine de la mise au point du processus des vendanges tardives en 1775, ce qui lui permit de vendre ses vins à des prix largement supérieurs à ceux de ses rivaux.

Et celui du Douro

Le vin de Porto est quant à lui promu et développé par les jésuites et les dominicains, avant que les Anglais ne s’en emparent et lui procurent sa renommé. Si l’on voyage sur les autres continents on découvre que les vignobles californiens, chiliens, argentins furent à chaque fois créés par des missionnaires, qui avaient absolument besoin de vin pour célébrer la messe, et qui ne pouvaient pas en importer d’Europe. Certes, ces vignobles étaient de piètre qualité, mais ce fut le début de la grande aventure des vins du Nouveau Monde qui nous enchante aujourd’hui. On pourrait en dire autant des vignobles chinois, australiens et néo-zélandais. L’engouement des Japonais pour le vin trouve lui aussi son origine dans l’évangélisation de ce pays à partir du XVIIe siècle. Il compte aujourd’hui parmi les principaux consommateurs de cognac et de beaujolais.

Voici les marques tangibles de la présence de l’Eglise dans le vignoble. Promenez-vous dans les rayons des supermarchés et soyez attentif aux noms des crus, vous vous rendrez compte alors que la plupart d’entre eux sont liés à l’Eglise : Saint Joseph, Saint Pierre, Notre Dame des Anges, quelques grappillés qui relient le vin au christianisme.

Si l’on doit chercher les racines chrétiennes de la France et de l’Europe il est possible de les trouver dans l’architecture de nos villages, dans les tableaux de nos musées, et aussi dans nos vignobles et sur nos tables. La gastronomie française, qui vient d’être promue par l’UNESCO, trouve une de ses sources d’inspiration dans le mystère pascal.

Première parution : mai 2011.

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