Le kir devient plan d’eau

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samedi 11 mai 2013

De passage en Bourgogne je m’arrête à Dijon, ville que je ne connaissais pas encore. En sortant de l’autoroute, nous longeons de nombreux plans d’eau, des bases nautiques, des plages artificielles, où il doit être fort agréable de venir, l’été, s’y baigner. Quelques bancs, des arbres, des jeux pour les enfants, un terrain de beach-volley, un chemin aménagé pour le footing. On retrouve là l’aménagement typique d’une ville, ces sortes d’aménagement de style international que l’on pourrait trouver dans n’importe quelles villes de province. Les modèles de bancs, de lampadaires, de stratifiés se retrouvent dans les congrès des maires de France où des représentants essayent de vendre leur marchandise aux élus locaux, comme d’autres vendent des appareils électroménagers aux jeunes couples qui s’installent.

Mais nous sommes à Dijon, et le plan d’eau met à l’honneur un des enfants glorieux de la ville : le chanoine Kir. Le plan d’eau porte son nom. Peut-être y a-t-il une bonne raison à cela. Peut-être est-ce le chanoine qui a fait aménager ce plan d’eau, peut-être aimait-il venir s’y baigner, ou peut-être a-t-on simplement voulu l’honorer en nommant ainsi cette étendue aqueuse. Le chanoine Kir fut résistant, maire de Dijon et député de Bourgogne jusqu’en 1968. Il siégea en soutane à l’Assemblée ; à l’époque les hommes avaient encore un certain goût vestimentaire. Mais, bien sûr, il est surtout connu pour l’invention de son célèbre cocktail, mélange de crème de cassis de Dijon et de Bourgogne aligoté. Habile édile qui pouvait ainsi écouler les surplus de sa région tout en régalent les invités lors des vins d’honneur. Traitresse boisson que le kir, agréable et sucrée dont on ne sent pas l’alcool. Les négociations devaient être plus simples ensuite. Le chanoine est aussi célèbre pour sa rencontre avec Khrouchtchev, ce qui lui permit de créer ensuite le double K. Un député gaulliste s’étant présenté contre lui il fut réélu avec le soutien du PC pour le remercier de son rapprochement avec le Premier secrétaire du parti soviétique. Notre chanoine n’était pourtant pas un curé rouge. Mais, comme il aimait à le dire, ce qui fait la richesse et la grandeur de la France c’est la variété de ses blancs et de ses rouges, en politique comme dans le vin. Il avait le bon mot facile. Il y en a d’autres de lui, mais qu’il est difficile de citer ici, étant peu gracieux.

Alors oui, même si le chanoine Kir fut surement un bon maire et un bon député, même s’il mérite que la municipalité conserve son souvenir on peut quand même regretter que son nom soit associé à un vaste verre d’eau, lui qui fut l’inventeur d’une boisson alcoolisée désormais réputée. Ce n’est certes pas de la haute gastronomie, mais c’est sympathique un kir, et plutôt bon vivant. Quand on y met du vin rouge, plutôt que du blanc, on l’appelle un cardinal. Si on y met du champagne, on le nomme kir royal. Les producteurs champenois ont voulu faire passer cette boisson pour le nec plus ultra, insistant davantage sur l’adjectif royal que sur le nom kir. Habile façon de vendre et de faire boire du breuvage trop vert, mal dosé, acide et astringent. On a coupé beaucoup de têtes de ce kir là. J’ai même bu un kir pour enfant, à base de cidre et de grenadine. Un petit kir en sorte, avant de passer au vrai kir ; celui des grands. La boisson n’est pas exquise, mais elle est associée à une belle tradition : celui du vin d’honneur. On en voit l’expression sur de nombreux cartons d’invitation dans les mairies et les collectivités territoriales. Le défilé, le discours, l’inauguration, le débat sera suivi d’un vin d’honneur. On n’y sert plus de vin, les jus de fruits ont tout remplacé, mais il reste l’honneur.

Du paradis des spiritueux, le chanoine Kir, l’écharpe tricolore nimbant sa soutane noire, apprécie-t-il que son nom soit associé désormais à une base nautique plutôt qu’à un apéritif ? Est-ce un effet de la prohibition ambiante qui vise à éradiquer le vin de notre quotidien, ce verre salutaire que recommandent les médecins ? Mais peut-être que pour la population dijonnaise il y a plus de rêve à aller dans ce plan d’eau que de boire un kir. Heureusement qu’il reste à Dijon sa moutarde pour relever notre quotidien.

Publié dans Tak.

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