Le Vatican s’active en Irak

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mercredi 10 septembre 2014

L’été diplomatique fut très actif pour le Vatican. Celui-ci est intervenu à de nombreuses reprises sur le dossier irakien, rompant avec la coutume du pacifisme.

Le conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux est actuellement présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran, qui fut également Secrétaire pour les relations avec les États, de 1990 à 2003. Ce prélat connaît donc très bien la diplomatie pontificale et les enjeux du dialogue interreligieux, notamment avec l’islam.

Ce conseil pontifical a publié le 12 août 2014 une note au langage clair et vif, qui tranche avec les habituelles phrases compassées de ce type de dialogue. Dans cette note, le conseil a notamment demandé aux chefs religieux musulmans de condamner ouvertement les crimes commis par les djihadistes en Irak. C’est une des premières fois que cette demande est aussi forte et aussi clairement formulée.
Cette note s’inscrit dans le contexte de la proclamation du califat islamique en Irak et en Syrie, lors de la prise de nombreuses villes chrétiennes, dont Mossoul et Qaraqosh, où les chrétiens sont chassés et persécutés. Avant cette publication, Mgr Tomasi, représentant du Saint-Siège auprès de l’ONU à Genève, a appelé à plusieurs reprises à une intervention militaire en Irak afin de protéger les populations civiles. Il est assez rare que le Saint-Siège se prononce en faveur d’une intervention militaire. La dernière fois que cela eut lieu, c’était en 1992, lorsque Jean-Paul II voulait faire cesser les massacres se déroulant en Yougoslavie. Mais en 1991 et en 2003, le même Jean-Paul II s’est opposé à l’intervention en Irak. Benoît XVI s’est montré très circonspect face aux interventions de l’OTAN en Libye, et le pape François avait marqué son opposition au bombardement de la Syrie, à la fin de l’été 2013, par l’appel à une journée de prière et de jeûne. La diplomatie pontificale était donc sur une ligne résolument pacifiste, qui n’est absolument pas le pacifisme.

Interventions à l’ONU

Les interventions de Mgr Tomasi ont donc marqué un certain renversement dans la manière de s’exprimer de la diplomatie pontificale. Mais ce renversement n’est pas une rupture de cette diplomatie, car cela s’inscrit au contraire dans la continuité de la défense de la guerre juste, qui consiste à lutter par les armes contre un ennemi, à partir du moment où cela est la seule solution, où la réplique est proportionnée à l’attaque, et où elle ne cause pas de dégât plus important que l’attaque elle-même. Bien évidemment, Mgr Tomasi n’a pu faire ces déclarations répétées sans l’accord de ses supérieures hiérarchiques, c’est-à-dire du cardinal Secrétaire d’État, du Secrétaire pour les relations avec les États, et du pape lui-même.

Le pape François a ensuite envoyé en Irak le cardinal Filoni, en le présentant comme son représentant personnel, et en le chargeant de structurer l’aide et l’assistance aux populations. Le cardinal Filoni fut nonce en Irak en 2003, et il fut le seul diplomate à rester à Bagad au moment des bombardements irakiens.

Sortir de l’ambigüité

Puis il y eut le 12 août la publication de la note du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Les termes mêmes de cette note méritent d’être cités, tant ils tranchent avec un certain politiquement correct.
La déclaration fut publiée en français, qui est la langue officielle de la diplomatie pontificale. Elle commence par ces mots : « Le monde entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais « la restauration du califat » qui avait été aboli le 29 octobre 1923 par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. » On remarque ici l’usage du substantif stupéfait, qui donne à ces lignes beaucoup plus de densité que la simple énonciation d’un état de fait. Le communiqué poursuit par la condamnation des nombreux crimes commis par les djihadistes, dont une liste dramatique est fournie. Puis, avec un mélange d’injonction et de consternation, la déclaration demande formellement aux autorités religieuses musulmanes de sortir de leur ambiguïté et de condamner ouvertement ces crimes :
« La situation dramatique des chrétiens, des yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années ? »

La déclaration va même plus loin encore, en demandant aux chefs religieux d’intervenir auprès des États musulmans pour qu’ils cessent de soutenir les groupes terroristes.

« Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un État de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux. En rappelant la nécessité d’une éthique dans la gestion des sociétés humaines, ces mêmes chefs religieux ne manqueront pas de souligner que le soutien, le financement et l’armement du terrorisme est moralement condamnable. »

Sans nommer ici le Qatar et l’Arabie Saoudite, chacun comprend qui est visé, et qui doit prendre sa part de responsabilité dans le rétablissement de la paix et de la justice dans la zone. Les groupes djihadistes qui interviennent actuellement en Syrie et en Irak sont, pour la plupart, financés par l’argent du pétrole venant des émirats du Golfe. Cette déclaration a le grand mérite de la clarté et elle oblige les dirigeants des pays concernés à cesser de manier l’ubiquité et le double jeu.

Arrêter l’agresseur injuste

Enfin, c’est le pape lui-même qui est intervenu en prenant publiquement position sur le dossier irakien. Cela s’est déroulé le 18 août, dans l’avion qui le ramenait de Corée. Répondant aux questions des journalistes, le pape François a dit qu’il aurait aimé se rendre en Irak, notamment au retour de son périple asiatique, mais que les conditions n’étaient pas réunies pour que son avion se pose au Kurdistan. Ces propos d’intention ont été suivis d’un rappel à l’action sur la nécessité de la guerre juste :

« Quand il y a une agression injuste, il est licite d’arrêter l’agresseur injuste. Je souligne le verbe : arrêter. Je ne dis pas bombarder, faire la guerre : l’arrêter. Les moyens avec lesquels on peut les arrêter devront être évalués. Combien de fois, sous prétexte d’arrêter l’agresseur injuste, les puissances se sont-elles emparées des peuples et ont-elles fait une véritable guerre de conquête ! En outre, une seule nation ne peut pas juger de la façon dont on arrête un agresseur injuste. Après la Seconde Guerre mondiale, on a eu l’idée des Nations-Unies : c’est là qu’il faut discuter et dire : "C’est un agresseur injuste ? Il semble que oui. Comment pouvons-nous l’arrêter ?” Mais seulement cela. Rien de plus. »

Ici le pape reprend la doctrine traditionnelle de l’Église sur la notion de guerre juste et sur la nécessité d’intervenir, y compris militairement, pour arrêter les agresseurs et restaurer la paix. C’est donc que l’intervention militaire est une nécessité, afin de protéger les populations civiles. Mais le pape ne veut pas donner l’impression de lancer la croisade contre le monde musulman, d’autant que les interprétations maladroites du discours de Ratisbonne sont encore dans les mémoires. C’est pourquoi il ne parle pas uniquement des chrétiens persécutés, mais aussi des yazidis, et il rappelle également que les musulmans souffrent des attaques des djihadistes. De même, il demande à ce que l’intervention militaire se fasse dans le cadre de l’ONU, afin de respecter le droit international. On ne peut restaurer la paix et la justice par des moyens qui contreviennent à ces deux idéaux. Recourir à l’ONU c’est éviter qu’un seul pays s’arroge le droit d’intervenir, et chacun a reconnu ici les États-Unis, même s’ils ne sont pas explicitement cités. Recourir à l’ONU, c’est aussi respecter le mandat de l’intervention. Il s’agit bien d’arrêter l’agresseur injuste, non de conquérir des territoires, d’abattre un régime ou d’asseoir la domination d’une puissance dans une zone régionale. La diplomatie pontificale veut circonscrire le domaine de l’intervention dans l’espace et dans le temps. On sait aussi qu’il est facile de prévoir la date de début d’une intervention, mais beaucoup plus dur d’en préciser le terme.

C’est donc en revenant du pays du matin calme que le pape François a renoué avec la tornade diplomatique. Ce faisant, il a rappelé que le Saint-Siège reste une des grandes puissances diplomatiques de notre temps, la seule puissance qui, n’ayant pas d’objectifs de domination ou de puissance, peut réellement s’affirmer comme un État au-dessus des partis, et donc un État réellement puissant.

Retrouvez en ligne la déclaration du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

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