Le Pape et Al-Azhar, entretien à Atlantico

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lundi 23 mai 2016

Interrogé par Atlantico, je réponds à quelques questions sur la rencontre de ce lundi entre le Pape et le cheik d’Al-Azhar.

PS : En lisant l’article sur Atlantico je découvre qu’ils ont mêlé mes réponses à celles d’Alexandre Del Valle. Pourquoi pas, cela donne un dialogue à deux qui n’est pas inintéressant. Seulement il est complètement artificiel puisque nous avons été interrogés chacun de notre côté et que nous n’étions pas informés que nos réponses seraient présentées ainsi. Je reproduis ci-dessous mes seules réponses, telles que je les ai envoyées à Atlantico.

1) Ce lundi, le pape François reçoit au Vatican l’imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, plus haute autorité de l’islam sunnite dans le monde. Quel est l’objectif affiché de cette rencontre historique entre les deux autorités et que peut-on en attendre ?

Les relations entre le Vatican et Al-Azhar ont été rompues en janvier 2011. En effet, le 31 décembre 2010, un attentat dans une église copte avait causé la mort d’une trentaine de chrétiens. Benoît XVI avait vivement réagi à cet attentat et demandé aux autorités égyptiennes de prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise.
Al-Azar avait considéré cette réaction comme une offense à l’islam et avait dès lors cessé tout dialogue avec le Vatican.

Cette rencontre est donc un moyen de renouer les contacts officiels et de retisser les liens du dialogue après cinq ans d’interruption.

Sur le fond, rien de nouveau ne sortira de cette rencontre. Il ne faut pas s’attendre à des transformations profondes. Les choses se font petit à petit. Cela tient aussi à la structure même de l’islam, qui est très divisé. Chaque autorité parle pour elle-même et non pas au nom de l’ensemble des musulmans. Mais pour les relations entre le Saint-Siège et l’Égypte, c’est une très bonne chose.

2) Si la volonté de dialogue interreligieux est unanimement saluée, la stratégie d’ouverture tous azimuts de François ne risque-t-elle pas d’isoler le pape au sein même de l’Église, à commencer par le Vatican ? Qu’en pensent les cardinaux ?

Cette rencontre est organisée par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, elle n’est pas le fait de la seule initiative du Pape. À Rome, tout le monde s’accorde sur l’importance qu’il y a à avoir des échanges avec Al-Azhar. Il y a un consensus sur ce sujet.

3) En adoptant une telle politique de la main tendue à la branche sunnite de l’islam, aujourd’hui conquérante et liée à de terribles exactions dans de nombreux pays, le pape ne complique-t-il pas la situation des chrétiens d’Orient ?

Al-Azhar et son grand imam, le cheik Ahmed Al-Tayeb, ont prononcé une condamnation sans précédent contre l’EI. En février 2015, réagissant à la décapitation d’un pilote jordanien par l’EI, Al-Azhar a condamné l’EI en utilisant des mots très forts dans son communiqué : « [nous condamnons] cet acte terroriste lâche, qui nécessite la punition prévue dans le Coran pour ces agresseurs corrompus qui combattent Dieu et son prophète : la mort, la crucifixion ou l’amputation de leurs mains et de leurs pieds. »

Ils ont également appelé à « crucifier et démembrer les membres de l’EI. » C’est la première fois que l’université égyptienne prononçait une condamnation aussi violente à l’égard d’un groupe terroriste musulman.

Il y a donc une convergence de vue entre le Saint-Siège et Al-Azhar dans la nécessité de lutter contre Daesh et le terrorisme.
De même, c’est à Al-Azhar, devant le cheik et l’ensemble des dignitaires religieux de l’université, que le président Al-Sissi a prononcé en décembre 2014 un discours particulièrement vindicatif à l’égard des fanatiques. « Nous devons changer notre religion » a-t-il notamment dit.

L’Égypte est un pays essentiel dans la lutte contre l’islamisme. D’où l’importance de la rencontre entre les deux autorités.

4) Cette attitude du pape n’est-elle pas également critiquable dans le sens où elle encourage les musulmans radicaux dans l’entreprise de propagande qui consiste à accuser les Occidentaux d’"islamophobie" ? En quoi peut-elle rendre encore plus inaudibles les musulmans qui tentent de promouvoir un islam moins victimaire et plus moderne ?

Justement, au regard de ce que nous avons dit précédemment, cette rencontre tend la main à ceux qui veulent changer l’islam et qui luttent contre l’islamisme et le terrorisme. La prise de position d’Al-Azhar contre Daesh, le discours du président Al-Sissi, tranchent avec le jeu double et ambigu de l’Arabie Saoudite et du Qatar. Le Saint-Siège espère beaucoup de l’Égypte et de la Jordanie. Depuis que l’Irak est détruit et que la Syrie est en proie à la guerre, ce sont les deux seuls pays modérés de la région.

Ces deux pays ont des intérêts communs à mettre un terme à l’EI et à tarir les sources de l’islamisme. Ils sont donc des alliés de fait du Vatican et des chrétiens d’Orient.

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