Le Figaro : Les chrétiens face à la répression chinoise

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jeudi 26 décembre 2019

Entretien pour Le Figaro sur la répression religieuse qui s’abat en Chine.

Dans un entretien au Figaro, le cardinal Zen, opposant au régime chinois et ancien archevêque de Hong Kong, a fustigé la politique de conciliation avec la Chine initiée par le pape François et son secrétaire d’État, le cardinal Parolin. Pour les catholiques chinois de l’Église clandestine, l’accord passé l’an dernier avec le régime est inadmissible. N’est-ce pas l’une des limites de la diplomatie vaticane : à trop vouloir faire œuvre de miséricorde, le pape donne aux siens l’impression d’être trahis ?

La question chinoise est éminemment complexe et il est plus facile de la commenter que de la traiter. Elle met en jeu cinq acteurs : l’Église patriotique chinoise, « église officielle » du régime ; l’Église clandestine ; celle de Hong Kong ; le Saint-Siège et le gouvernement de la République populaire de Chine. Chacun de ces groupes a des intérêts différents, qui peuvent être divergents. Pour comprendre la situation, il faut comprendre ce que chacun vise.

Les catholiques de Chine continentale subissent une répression depuis l’arrivée au pouvoir de Mao puis la mise en place de l’Église patriotique (1951). Ils subissent les affres du matérialisme athée porté par un gouvernement qui cherche à supprimer toute divergence spirituelle. Toutefois, la frontière entre l’Église officielle et l’Église clandestine est floue : certains fidèles vont de l’une à l’autre, certains prêtres ou évêques agissent dans l’une et l’autre. Il y a des prêtres qui sont de corps dans l’église patriotique et de cœur dans l’église clandestine. Il n’y a pas une ligne claire qui séparerait les deux églises de façon simple, mais des relations humaines compliquées compte tenu de l’absence de liberté.

Que recherche le Saint-Siège ? D’une part, mettre un terme au schisme de fait qui sépare les deux églises depuis bientôt 70 ans et permettre l’unité des chrétiens de Chine continentale. D’autre part, desserrer l’étau qui pèse sur eux, qui les empêche de pratiquer librement leur foi et qui fait que de nombreux diocèses ne sont plus pourvus en évêques.
Voilà pour les objectifs, qui sont inchangés depuis Paul VI.

Pour les atteindre, quels sont les moyens de l’Église ? Presque rien. Contrairement à la Pologne communiste ou à l’Allemagne nazie, Rome ne peut pas s’appuyer sur la tradition chrétienne du pays, sur les réseaux établis, comme les organisations de jeunesse ou les paroisses. La question chinoise montre l’impuissance du Vatican : si la Chine communiste veut persécuter les chrétiens, rien ne l’empêche de le faire.

François a changé de méthode et a conclu un accord avec le gouvernement de Pékin en septembre 2018. Cet accord est secret, par conséquent on ne peut pas savoir s’il est respecté puisqu’on n’en connaît pas la teneur. Mais force est de constater que depuis la signature de cet accord, la répression religieuse n’a cessé de croître. Croix abattue, églises interdites aux moins de 18 ans, surveillance des familles catholiques, développement de la présence de la police politique lors des messes… Depuis que Xi Jinping a appelé à une nouvelle révolution culturelle et à accroître la sinisation, la liberté religieuse est diminuée.

C’est un dilemme chinois. Que faire ? Tenter, malgré tout, un accord, afin de desserrer l’étau, ou dénoncer les persécutions au risque de les aggraver ? Le cardinal Zen a raison de parler, mais il n’est qu’une voix parmi d’autres. Né à Shanghai et arrivé à Hong Kong en 1948, à l’âge de 16 ans, il est un opposant constant et courageux au système communiste. Mais est-ce que son avis est partagé par les évêques de l’Église clandestine ? Ceux-là ne parlent pas, et pour cause puisqu’ils n’ont pas accès au débat public.

La diplomatie, c’est l’art de négocier avec ceux qui vous veulent du mal. La tâche n’est pas aisée et Rome se heurte ici au bon vouloir de Pékin, sans moyen de pression.

À Hong Kong, les chrétiens et singulièrement les catholiques, prêtres compris, sont en première ligne. Rappelant ainsi l’attitude intransigeante de l’Église face au communisme en Europe de l’Est : Jean-Paul II avait été constamment au côté des opposants au régime. N’y a-t-il pas, cette fois, un contraste avec l’attitude plus ambigüe du pape François ?

Jean-Paul II défendait sa patrie et ses frères. Il avait un lien spirituel et charnel avec les dissidents d’Europe de l’Est. L’Argentin François ne partage bien évidemment pas cela avec les Chinois. Le Saint-Siège a tout intérêt à ne pas intervenir de façon directe dans les manifestations de Hong Kong. Déjà que Pékin reproche au christianisme d’être une religion étrangère à la Chine, une importation occidentale héritée de la colonisation, si le Pape s’investissait publiquement il accréditerait cette thèse et il mettrait en danger la vie des catholiques de Chine continentale.

C’est aux catholiques de Hong Kong d’agir personnellement, en leur âme et conscience. Rien ne serait pire qu’une intervention directe de Rome. En revanche, les réseaux ecclésiaux peuvent contribuer à diffuser les informations et à informer les chancelleries occidentales sur la situation en Chine intérieure. C’est une action invisible, mais beaucoup plus efficace. C’est cela la puissance de la diplomatie vaticane, et c’est ce levier-là qu’elle doit actionner.

De son côté, le régime chinois semble conserver à l’égard de l’Église catholique une politique plus qu’hostile : lors du dernier congrès du Parti communiste, les autorités chinoises ont appelé les représentants du culte à revoir la traduction des textes sacrés, pour coller davantage à la doctrine de Pékin…

Cette politique vise l’ensemble des églises chrétiennes et des religions. Réécriture de la Bible certes, mais aussi fermeture des lieux de culte, vexations à l’égard des fidèles, enlèvements de prêtres qui quittent l’église patriotique. Il y a toujours eu une répression latente, mais cela s’est amplifié depuis 2018. Trois facteurs se conjuguent ici.

L’absolutisme du communisme, qui ne peut accepter aucune forme de liberté. La liberté est nulle ou plurielle. S’il n’y a pas de liberté économique et politique alors, nécessairement, il n’y a pas non plus de liberté religieuse. À l’inverse, s’il y a la liberté religieuse, cela conduit conséquemment à la liberté politique. Ce qui menace donc le fondement même de l’existence du parti communiste chinois. La répression contre les chrétiens n’est donc pas conjoncturelle, elle n’est pas une lubie de Xi, elle est consubstantielle à la nature du communisme, même si un dirigeant peut actionner le levier répressif avec plus ou moins de détermination.

À cela s’ajoute la réactivation idéologique du régime chinois. Xi Jiping se place dans les pas et la continuité de Mao. Il a ouvert un grand mouvement de sinisation, qu’il faut entendre comme une intensification de l’endoctrinement maoïste. Cette politique devait d’une part amener à commémorer les 70 ans de la RPC, le 1er octobre 2019, d’autre part à faire de la Chine la première puissance mondiale en 2049, pour le centenaire de la RPC. La sinisation va de pair avec le lancement du projet des « nouvelles routes de la soie ». Il s’agit d’étendre l’Empire, à l’intérieur et à l’extérieur.

Enfin, cette réactivation idéologique témoigne d’une fébrilité intérieure. La Chine est hantée par la chute de l’URSS ; elle ne veut pas connaître la même explosion. Or elle est confrontée à d’immenses défis : vieillissement de sa population, ralentissement économique, mouvement séparatiste ouïgour. Recentrer le pays sur la doctrine maoïste est une façon de dépasser ces problèmes tout en désignant un ennemi intérieur, ce qui est toujours utile pour mobiliser les troupes.

Le cardinal Zen a raison de dire qu’il n’y a pas de conciliation possible entre la doctrine maoïste et la foi chrétienne, tout comme le Saint-Siège a raison de tenter de desserrer l’étau par la négociation. Que peut-il faire d’autre ? Mais les deux ne peuvent pas grand-chose face à la toute-puissance du parti. Les catholiques de Chine intérieure vont vivre des moments très difficiles. Mais l’histoire n’est jamais écrite d’avance. En 1980, qui pariait sur l’effondrement prochain de l’URSS ? Pas même Jean-Paul II.

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