La vision politique de Léon XIII

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lundi 17 août 2015

La vision politique de Léon XIII

Lorsqu’en 1878, à l’âge de 68 ans, le cardinal Pecci devient le pape Léon XIII, les observateurs attentifs attendent un règne de transition, un pontificat bref, après les 31 ans de Pie IX. Ce pontificat dura pourtant 25 ans et Léon XIII a fortement marqué le gouvernement de l’Église, notamment par sa vision politique.

À son arrivée sur le trône de Pierre, Rome est envahie depuis sept ans par les troupes du roi d’Italie, et le pape est prisonnier au Vatican. Le positivisme et le libéralisme sont les doctrines maîtresses de l’Europe. La France est tenue par les Républicains, dont l’anticléricalisme sert de programme de gouvernement. L’Allemagne est dirigée par Bismarck, qui met en œuvre le Kulturkampf contre les catholiques, pour affirmer l’identité prussienne du Reich. Autant dire que la situation politique de l’Église est préoccupante. Léon XIII a pourtant réussi l’exploit de replacer le Vatican au centre de la diplomatie européenne. Il a fait plier Bismarck et a permis aux catholiques français de ne pas être complètement exclus du jeu politique. Il a amorcé un rapprochement avec les Russes et les Anglicans, dont Newman est l’exemple le plus fameux. Son pontificat est donc un signe d’espérance, car la situation alarmante de 1878 a été renversée et, à sa mort en 1903, l’Église se porte mieux.
Sa vision politique se fonde sur cinq principes majeurs, que nous allons esquisser ci-après.

Premier principe : tout enraciner dans le Christ. Au fondement de la politique se trouve la pratique sacramentelle et la prière. Léon XIII a publié quinze encycliques mariales : une par an durant les quinze premières années de son pontificat. Pour lui, l’essor de la récitation du rosaire est aussi important pour le développement social que l’augmentation des salaires ou l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. Le concept de Doctrine sociale de l’Église, que l’on fait débuter à partir de Rerum novarum (1891) est en fait, dans l’esprit de Léon XIII ; à rattacher d’abord à son encyclique sur le rosaire Supremi apostolatus officio de 1883.

Deuxième principe : la fermeté sur les points doctrinaux. Le style de Léon XIII est peut être plus souple et plus florentin que celui de son prédécesseur, il n’en demeure pas moins intangible sur les principes de l’Église. Léon XIII ne renie nullement le Syllabus et n’accorde aucune concession sur la question romaine. Un exemple : après son élection le pape devait saluer la foule romaine. S’il la saluait depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre vers la place du même nom, cela aurait été interprété comme une acceptation de l’annexion de Rome par le Piémont. Léon XIII s’y est refusé et il a accordé sa bénédiction à l’intérieur de la basilique.

Troisième principe : le développement de l’intelligence. Pour répondre aux doctrines erronées et aux attaques contre l’Église, il est nécessaire d’avoir un bagage intellectuel suffisant. Le pape a donc restauré l’étude de saint Thomas d’Aquin, qui fut étudié dans tous les séminaires. Il a encouragé le développement des écoles et universités chrétiennes, ainsi que l’engagement des catholiques dans le monde de la culture. Ses encycliques, dont il a fait un grand usage, sont des textes doctrinaux d’une grande densité, écrits pour former le peuple chrétien.

Quatrième principe : s’accorder aux réalités du monde. La fermeté doctrinale doit s’accompagner d’une légitime adaptation et modernisation pour ce qui concerne les points non essentiels. La forme ou le symbole ne doivent pas faire oublier le but à atteindre. C’est ainsi qu’il interdit aux Italiens de participer à la vie politique de leur pays en maintenant le non expedit de Pie IX, mais en même temps il encourage les Français à s’engager dans le gouvernement de leur pays. Ce que l’on a pris, à tort, pour un ralliement à la république, est en réalité un acte de sagesse. Prenant acte de l’enracinement de la république chez le peuple français, de part les nombreuses victoires électorales, de la division irrémédiable et suicidaire du camp monarchiste, le pape a demandé à ce que les catholiques s’engagent aux côtés des républicains modérés afin de faire barrage aux radicaux. Il a ainsi engagé à distinguer la forme du gouvernement de sa législation. Or ce qui compte vraiment pour un peuple, c’est la législation du gouvernement. Preuve en est que l’Italie de l’époque était une monarchie, qui était pourtant très anticléricale et combattait violemment le pape.
Cette politique d’union est loin d’avoir été comprise par l’ensemble des catholiques français. Ce faisant, par leur maximalisme, ils ont une part de responsabilité dans les attaques anticléricales des années 1900.

Cinquième principe : développer la responsabilité des laïcs. Léon XIII a compris que le cléricalisme pouvait être une mauvaise chose pour l’Église. Il n’appartient pas aux évêques ou aux prêtres de se mêler de questions politiques, cela doit être du ressort des laïcs. Il est un des premiers papes à avoir développé une conception plus large du laïcat et à avoir encouragé l’engagement des laïcs en politique. C’est ainsi qu’en France des hommes comme Albert de Mun ou Denys Cochin ou pu se faire les chantres de l’engagement politique chrétien.

De la vision aux résultats, il y a des pas à franchir qui sont parfois cruels en politique. Les immenses chantiers de Léon XIII sont loin d’avoir portés des fruits sous son pontificat. Ce n’est qu’après 1918 que les catholiques français cessent d’être ennuyés par le gouvernement, et ce n’est qu’en 1929 que le Vatican retrouve sa souveraineté. En politique, Léon XIII fut un semeur dont les fruits ont éclos souvent bien après lui. Dans ce geste auguste du semeur qui n’espère pas de moissons immédiates, réside l’espérance du politique qui sait que toute grâce vient de Dieu.

Première publication : 25 avril 2012

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