La sainte ignorance 3/4

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samedi 8 mars 2014

Suite de l’analyse du livre d’Olivier Roy, La sainte ignorance.

Le jeu des marqueurs religieux et culturels

Les noirs américains se sont appropriés des religions comme marqueurs identitaires. Ils ont d’abord adoptés le christianisme afin de s’assimiler aux Etats-Unis, pour faire leur la religion majoritaire et dominante. Cela leur permet de revendiquer l’égalité. Le gospel est un moyen de dissocier la culture de la religion, en s’appropriant un chant que les autres n’ont pas.
Avec la lutte pour les droits civiques, la question s’est posée de savoir comment on pouvait continuer à adopter la culture des dominants. L’identité noire ne peut pas se bâtir en adoptant les mêmes codes que ceux des Anglo-Saxons. L’adoption de l’islam est une façon de se détacher des Etats-Unis et de marquer son opposition aux Anglo-Saxons, ce qui a donné les Black muslims. D’autres groupes sont restés protestants, mais ont orienté leurs églises vers la reconnaissance identitaire, à tel point que celles-ci se définissent d’abord comme étant noire, puis évangélique. Aux Etats-Unis, seul le catholicisme est capable de faire côtoyer dans les églises des personnes de différentes origines culturelles et ethniques.

La place du conformisme dans la société

« La gouvernance ne peut fonctionner que si la religion dominante se développe en culture, c’est-à-dire en système symbolique et imaginaire qui légitime l’ordre social et politique, mais ne fait pas de la foi une condition de la vie en commun. C’est la conformité et non la foi qui fonde une société ; c’est toute la différence entre une communauté et une société. » (p. 145)

Cette insistance sur le rôle de la conformité comme vecteur de la vie communautaire me semble déterminant pour comprendre les évolutions sociologiques et intellectuelles des derniers siècles. Ce qu’Olivier Roy nomme conformité, René Girard l’appelle mimétisme. Une société, pour assurer sa vie commune, doit reposer sur des actes communs et des référentiels acceptés par tous. Les hommes sont naturellement portés au mimétisme et au conformisme. Conformisme chrétien lorsque le catholicisme est la religion de l’Etat, à l’époque moderne, conformisme consumériste, désormais que c’est l’hédonisme matérialiste qui est le vecteur commun de la société.

La religion, au contraire, brise le conformisme car, associant la raison à la foi, elle oblige les hommes à réfléchir sur leur propre pratique et à se les approprier. C’est le contraire du pharisaïsme, attitude de celui qui rabâche une pensée mécanique qui est celle de la pensée dominante.

La modernité païenne : les nouveaux dieux de l’homme athée

Les nouveaux paradigmes tournent autour de deux thèmes :
1/ la sexualité, la femme et la reproduction.
2/ La place donnée à l’individu, donc la liberté, et la méfiance face au transcendant.
L’être humain a remplacé Dieu.

Le débat sur l’avortement incarne à lui seul tous les changements de paradigme. Le sexe biologique ne détermine plus le genre, la procréation est artificialisée, la famille n’est plus le cadre de la filiation.
Les notions de norme, de valeur et d’éthique sont remises en cause. L’homme s’appartient lui-même et à personne d’autre, l’homme veut être son propre Dieu.
Il n’y a pas d’un côté un monde libertaire sans norme et de l’autre un monde soumis à un ordre transcendantal, mais deux définitions différentes de la nature humaine.

1/ Nouveaux paradigmes du sexe, de la femme et de l’homosexualité

Le consensus et l’orthopraxie ont volé en éclat à la fin du XXe siècle. Le célibat des prêtres pose problème dans nos sociétés parce que c’est une transgression. Pendant longtemps, c’était accepté, normal, et les transgressions se faisaient à la marge quand certains prêtres pouvaient avoir des maîtresses. Aujourd’hui, c’est l’exact inverse.
C’est la chasteté qui est une transgression et qui une atteinte aux valeurs et aux paradigmes défendus par la société. La virginité jusqu’au mariage, l’abstinence pour la lutte contre les MST, la fidélité dans les couples, tout cela apparaît de manière incongrue à une société qui le réprouve et qui défend d’autres valeurs. Des pans entiers de la vie privée passent dans le domaine public, par volonté de s’exprimer ou par dénonciation. Comme il n’y a plus d’espace intime, d’espace de marge, d’obscurité, mais que tout devient public et transparent, alors il y a une demande pour que les normes soient renversées et que ce qui était autrefois un péché deviennent la norme et soit accepté. C’est la norme qui devient à son tour un péché.

L’homosexualité était criminalisée dans les pays occidentaux jusque dans les années 1960-1970. Aujourd’hui, l’homophobie est assimilée au racisme et condamné comme tel. Jamais un retournement de paradigme ne s’est fait aussi vite.

Si on défend des valeurs non-négociables face à une société qui combat ces mêmes valeurs, alors on se place dans une position d’extériorité de la société.

On s’installe dans une vision de la minorité et de la séparation. Or, pour refuser la culture dominante, les religions adoptent les mêmes vecteurs et les mêmes paradigmes que la culture elle-même. Il y a à la fois rejet de la culture et en même temps adoption de ses codes et de ses pratiques. Les religieux deviennent une communauté, une sous-culture.

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