La mode des vides grenier

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samedi 29 juin 2013

Le mois de juin, les week-ends français sont traditionnellement occupés par les communions et les mariages. Inutile de chercher à faire une activité autre ces fins de semaine ci. Depuis une quinzaine d’années ont fleuri les vides greniers. Nombreuses sont les communes qui proposent à leurs habitants de vendre une partie des objets qu’ils possèdent et dont ils veulent se débarrasser. Dans les rues des villes fleurissent les comptoirs où s’étalent des bric-à-brac de vieilleries et des capharnaüms d’antiquités.
À leurs débuts, ces vides greniers ont été nommés brocante. Mais, compte tenu de la qualité, ou plus exactement de la faible qualité, des produits vendus, ce terme a semblé quelque peu pompeux. On a pensé à braderie et à puce, mais le premier faisait un peu trop galerie commerciale, et le deuxième misère et blanchiment d’argent. C’est donc vide-grenier qui fut adopté, ce qui en dit long sur la géographie de nos maisons et nos habitudes de vie.

Le grenier est cette partie de la maison située sous les toits, généralement à l’écart, et qui sert d’entrepôts. On y conserve les malles et les bouteilles cerclées d’osier, on y entrepose des vêtements en attente. C’est aussi le lieu où reposait le jambon, emmitouflé dans son torchon empli de sel. Le grenier à l’avantage d’avoir une température assez fraîche et constante, et d’avoir un flux d’air continu. Les nouvelles maisons n’ont plus de grenier. Les anciennes sont en train de les détruire en les aménageant. Le manque de place, la mise au point de matériaux isolants, a favorisé la transformation des combles et greniers en pièce de vie : chambres pour enfants ou pour invités, bureau d’appoint, salle à vivre. La reconquête du grenier a fait disparaitre le grenier. Dans la cartographie de la maison, c’est désormais un continent englouti. Mais l’expression demeure, désuète, poussiéreuse, rattachant la France urbaine, celle qui envahit les rues pour vendre son débarras, à la France rurale, celle qui conservait tout et qui ne jetait rien.

Un temps, on put penser que le grenier fut remplacé par la cave, mais nos maisons modernes n’ont pas de cave non plus. On n’entrepose plus le vin, on n’empile plus les conserves et les bocaux. En guise de cave, les industriels vendent désormais des caves électriques efficaces et sûres.
Pas de cave donc non plus dans la cartographie actuelle.

C’est le garage qui a remplacé et le grenier et la cave. Le garage est censé servir à garer la voiture, sauf que les habitants mettent la voiture dans la rue, et font du garage une pièce en plus, à la fois grenier, cave et chambre d’amis. Corolairement à la réduction du nombre de places de stationnement dans les rues, on a accru la place des maisons en occupant les garages. Bien sûr cette déclaration est illégale, car jamais déclarée à la mairie. Nul n’a envie de voir croître ses impôts locaux. C’est ainsi que la conquête de terre se double d’une infraction à la législation fiscale, ce qui, dans la psychologie française, est toujours espéré et apprécié.

C’est donc vide garage qu’il faudrait nommer ces activités de juin, qui consistent à essayer de vendre à d’autres ce que l’on ne veut pas. Mais vide garage, contrairement à vide grenier, n’est paré d’aucune noblesse. On a bien eu les vins de garages, qui ont bouleversé l’ordre établi dans les vignes et dans les mentalités viticoles, mais à moins d’être œnophile personne ne connaît ces vins. Le garage, c’est la voie en trop, la voie du retrait et du dépôt. Nul n’aime être mis sur la touche, c’est-à-dire se trouver dans une voie de garage. Nul non plus n’aime dormir au garage, lors que dormir au grenier laisse à rêver que l’on y trouve des livres oubliés et des trésors cachés.

La passion de conservation des Français, doublée de la passion des bonnes affaires et de l’impression d’avoir acquis un excellent bien moins cher que ce qu’il coûte, explique en partie que ces vides greniers plaisent tant et soit autant de succès. Ils disent beaucoup sur nos habitudes de vie et sur nos changements de mentalité. Ils renouent avec le goût du marché, du contact humain non virtuel. Ils montrent aussi que les Français sont plus entreprenants qu’ils n’y paraissent et qu’ils savent manier les subtilités du capitalisme.

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