La mécanique des vins

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dimanche 20 mars 2016

Le réenchantement du Languedoc

Le Languedoc a longtemps été le fils refoulé de la viticulture française. Créé pour abreuver les ouvriers des grandes villes, renforcé au pinard algérien, renforçant les années pâles de Bourgogne et de Bordeaux, c’est presque in extremis que l’on intégrait ses vignes dans la famille du vignoble français. Il a fallu la perte d’influence des vins de basse consommation et le travail acharné de vignerons amoureux de leur terre pour que la mécanique des vins se porte vers l’excellence, et que le Languedoc viticole soit enchanté.
Il avait mieux à nous proposer que les grèves de Béziers, les routes coupées et les citernes renversées. Autrefois, on buvait du vin. On allait le chercher chez le caviste, qui remplissait des bouteilles d’un litre marquées de six étoiles. C’étaient les années fastes des vins de piquette. Puis on s’est mis à déguster le vin. Le consommateur est parti en quête de qualité et les vieux vignobles à litrons se sont taris.

Olivier Jullien est issu d’une longue famille de vignerons du Languedoc. Il a connu la transition qualitative et, du haut de son village de Jonquières, au nord de Montpellier, il a repris en 1985 quelques terres pour essayer de faire un meilleur vin. L’incrédulité du début a laissé la place aux remarques chaleureuses des restaurateurs, des cavistes et des critiques gastronomiques. Son vin est devenu une référence, et ses bouteilles ont montré que même le Languedoc pouvait offrir de beaux produits. La journaliste et vigneronne Laure Gasparotto est allée rencontrer Olivier Jullien pour qu’il raconte son travail et ses efforts. Cela donne un livre passionnant, beau à lire et chaleureux. Un livre où, à partir de l’histoire personnelle d’un vigneron, on affronte tous les changements d’une profession : nouveaux modes de consommation, nouveaux acteurs, rôles des intermédiaires, exigence de la qualité.

Ce témoignage permet aux amateurs de vin de découvrir l’envers du décor viticole : la mécanique des vins, de la terre à la table, celle que l’on ne connaît pas et que l’on ignore presque toujours quand on débouche une bouteille. On y découvre les inflexions et les changements apportés par un vigneron qui se veut pourtant intemporel. On voit comment il a acheté des parcelles, comment il en a revendu d’autres, sans a priori idéologique, seulement pour trouver ce qui lui correspondait, et pour arriver à une certaine tenue de la qualité.

Olivier Jullien s’essaye aussi à de nombreuses techniques. Il essaye le bio, puis l’abandonne, le trouvant trop contraignant. Il refuse des nouveautés, puis y adhère, quand il se rend compte qu’elles peuvent apporter de bonnes choses à son vin. Il a son idée, mais il ne la fige jamais en idéologie. C’est cela aussi un certain aspect de l’enchantement du Languedoc. La terre domine bien sûr, mais en se mêlant à la volonté du vigneron et aux exigences du buveur, ce fieffé consommateur qui, in fine, dicte sa loi à la qualité du vin.

Les deux auteurs parlent longtemps des millésimes, qu’Olivier Jullien décrit avec jubilation et souvenirs, pour expliquer comment il les a chacun travaillés. Encore une fois, c’est l’arrière du décor, l’arrière-cour de la formation des grands crus.
Ce livre fait du bien, car il permet de mieux appréhender le travail intense du vigneron, de prendre conscience de tout ce qui se passe entre le cep et le verre. D’y voir ainsi des hommes passionnés, des inflexions, des recherches infructueuses et des découvertes. Tout ce qui fait le charme de la gastronomie et de l’art de la table.

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