La grève des mineurs de 1963

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vendredi 21 janvier 2011

Le Général de Gaulle et la grève des mineurs de 1963

Réforme des retraites, grèves, manifestations, blocages. La partition jouée par le gouvernement et les syndicats à l’automne 2010 revêt un air de déjà vu, et rappelle les opérettes sociales que nous offre régulièrement la scène parisienne. L’air est connu, le livret est déjà écrit, les instruments n’ont pas changé d’un pouce, seuls les musiciens de l’orchestre gouvernemental et syndical ont changé de visage. A tel point qu’à chaque réforme indispensable, apparaît nécessaire de mettre en scène la comédie tragique du refus du changement et de l’opposition systématique. Une comédie qui exaspère de plus en plus la population, si tant est qu’elle est jouée sur les tréteaux depuis des décennies immémoriales.

Le Général de Gaulle n’a pas échappé à cette mascarade de dialogue social, lui qui a tant fait pour réformer la France, et qui a dû lutter avec tant de vigueur contre ce qu’il nommait « les féodalités ». Durant son gouvernement, c’est sans conteste la terrible grève des mineurs de 1963 qui a marqué les esprits aussi bien que l’histoire syndicale. Cette grève est restée dans les mémoires des acteurs, car elle fut une des plus dures, tant sur le plan matériel que symbolique, que la France ait connu dans les années 1960. Cette grève mérite de rester dans les mémoires des décideurs, tant elle est l’archétype d’une difficulté française à affronter le changement, et à plonger le gouvernement dans des épreuves inutiles. Cette grève de 1963 est un drame qui se joue en trois actes, celui de son déroulement, celui de sa gestion, et celui de ses conséquences.

Le déroulement d’une grève

La grève proprement dite a duré de mars à avril 1963, mais ses prémisses ont commencé plus tôt. Elle s’inscrit dans la conjoncture de déclin du charbon et de monté en puissance du pétrole. On a dû mal aujourd’hui à imaginer ce qu’était une France charbonnière, une France avec des mines, avec des mineurs, avec une population qui se chauffe au charbon. Cette France là existe depuis le début du XIXe siècle, mais elle s’est effondrée si rapidement, et son visage charbonnier s’est tellement dilapidé, qu’elle nous paraît désormais incroyable. En 1957, la consommation d’énergie en millions de tonnes équivalent charbon est de 81.4 pour le charbon, et de 31.7 pour le pétrole. Dix ans plus tard, en 1967, elle est de 63.8 pour le charbon et de 92.6 pour le pétrole. L’or noir a supplanté la matière fossile, et ce dépassement s’est fait entre 1962 et 1964. Le déclin du charbon est inévitable, l’essor du pétrole n’est pas contenu . Dans le même temps la production de charbon diminue en France, passant de 60.3 millions de t.e.c en 1958 à 50.5 en 1963 . Après les efforts de la reconstruction d’après-guerre, c’est paradoxalement au moment où la production charbonnière française est la plus forte qu’elle amorce aussi son irrésistible déclin. Ce paradoxe, comment des mineurs, qui ont connu la guerre et l’avant-guerre, peuvent-ils le comprendre ? C’est de cette incompréhension majeure que naît la grève de 1963, qui est d’abord un cri désespéré du mineur français face au déclin de son activité, un déclin qu’il ne comprend pas, un déclin qu’il refuse, et un déclin qu’il nie. Il ne comprend pas que le charbon est condamné alors qu’il n’a jamais été aussi fort. C’est qu’il voit le passé, qu’il voit le présent, mais qu’il ne voit pas le futur. Peut-on le lui reprocher ? Cette grève est donc un drame, et sur ce drame se greffe une farce. Sentant le désespoir de la mine, les partis de gauche et les syndicats décident d’attiser le feu et de mener la guerre contre le gouvernement Pompidou, afin de se refaire à bon compte une santé électorale. En 1963, cela fait cinq que le Général est revenu au pouvoir. En cinq ans il a redressé l’état économique de la France, qui était alors au bord de la faillite, ne vivant au mois le mois que des subsides de Washington . En cinq ans, il a réglé la sécession algérienne, mis un terme à la rébellion des régions françaises d’Afrique, et redonné le sens de la grandeur à la France. Ces succès économiques et politiques lui ont assuré de larges victoires aux élections, si bien que la gauche, laminée et discréditée, est en recul dans le pays. Pour elle, il est crucial de revenir dans le jeu politicien, et un des moyens d’y parvenir est de créer un mouvement social. Ce que la démocratie leur refuse, la rue doit le leur fournir : le retour au pouvoir. Ce que dit très bien Pierre Mauroy : « Quand ça ne va pas [pour les partis de gauche], le social, ça c’est à gauche, ça permet de rebondir. La grève des mineurs nous apporte ça . »

Ce sont donc les syndicats, avec le concours des partis politiques, qui ont excité les craintes des mineurs, afin de créer la grève, de la faire durer, et de la diriger contre le gouvernement. De Gaulle est parfaitement conscient de cela, et il l’écrit à Pompidou : « Chaque jour, chaque heure qui passent, montrent plus clairement que l’affaire des grèves est une entreprise politique dirigée contre « vous savez qui », avec le concours de toutes les oppositions . »

La gestion d’une grève

La grève générale est lancée en janvier 1963 par la CFTC, afin d’attirer l’opinion sur l’avenir incertain du charbonnage. Très vite, la CGT lui emboîte le pas et s’empare de la grève, éliminant la CFTC du mouvement. Ce n’est plus l’avenir du mineur qui est alors mis en avant, mais les salaires. La CGT proteste contre une stagnation des salaires et demande une revalorisation. A l’origine de cette grève il y a donc bien un archaïsme social, celui du dialogue impossible entre les syndicats et le gouvernement. C’est donc à la mi février 1963 que le mouvement social prend son ampleur, et que les premiers manques de charbon se font ressentir sur la production. Pour éviter une pénurie de charbon, alors même que l’hiver 1963 est rigoureux, le ministre de l’Industrie décide de réquisitionner les mineurs pour les obliger à produire. Le Général est favorable à cela, et du reste la réquisition à déjà été employée, notamment en 1962 lors des grèves de la SNCF. Mais le décret est signé de façon désastreuse : de Gaulle étant parti à Colombey pour la fin de semaine, et le Premier ministre souhaitant que le décret paraisse le lundi, il lui envoya un motard afin qu’il puisse le signer, ce qui fit donc que le décret fut signé à Colombey, geste qui apparu comme un abus de pouvoir, alors même que cela était tout à fait légal. Lorsque Pompidou se rend compte de l’erreur commise, il est trop tard :

"Je m’en veux d’avoir envoyé un motard le samedi à Colombey, sans attendre que le Général revienne le lundi. Le Général est trop honnête et a inscrit à la main le lieu et la date. La presse a mis l’accent sur ce « décret de Colombey » saugrenu. Ça a exposé le Général beaucoup plus qu’il n’aurait dû l’être. Ce qui aurait dû être un paraphe de routine a été présenté comme une provocation personnelle du monarque, adressée à la classe ouvrière. Comme un caprice pharaonique. Je ne me le pardonne pas."

C’est d’autant plus dommageable que le Président souhaite ne pas s’exposer, et laisse toute latitude à son Premier ministre pour gérer la crise. Le partage des rôles entre de Gaulle et Pompidou a été clair, et il s’est fait sans heurts.

Un exemple dans lequel la délégation a été quasi-totale a été celui de la grève des mineurs. C’était une affaire que le général de Gaulle, tout en s’en tenant informé au plus haut degré, a laissé entre les mains du Premier ministre. Tous les contacts, toute la partie concernant l’ordre public, toutes les discussions sur la manière de conduire les choses ont été faits en liaison avec l’Elysée, mais ont vraiment pesé sur les épaules du Premier ministre. C’était légitime, car c’était une très grande affaire, et une affaire qui relevait de la gestion gouvernementale. Je ne me souviens pas, et pourtant j’ai vécu heure par heure cette période, je ne me souviens pas qu’il y ait eu trace de divergence, venant de l’Elysée, dans ce qui devait être conduit comme sur un champ de bataille, d’une façon directe, immédiate et avec une capacité de réaction que rien ne puisse entraver .

L’entente entre Pompidou et de Gaulle semble donc totale, sans opposition entre les deux hommes. Ce qu’exprime d’ailleurs très bien Pompidou :

"Nous voilà dans une grande affaire. C’est la première crise dont j’aie à supporter le poids. Il ne faut pas qu’il retombe sur le Général. La guerre d’Algérie, l’autorité sur l’armée, la lutte contre l’OAS, la révision de la Constitution, c’était son affaire. Mais la grève des mineurs, ça ne peut être que la mienne. Il faut que je prenne tout sur moi, que tout soit centralisé à Matignon, qu’il n’y ait qu’une personne qui décide, moi, qu’une personne qui parle, moi, ou vous sur instruction de moi."

La méthode Pompidou consiste a entretenir de bonnes relations avec les syndicats, à laisser faire la grève, pour qu’elle aille suffisamment loin, au point que la population française, qui soutenait les mineurs, en ait assez et espère la fin du conflit. Cette méthode de gestion agace certains députés UDR, qui lui reproche aussi de ne pas être l’un des leur, et de laisser pourrir le mouvement, au risque de leur faire perdre leur place. La majorité se déchaîne contre Pompidou, au point que certains pensent que sa démission est proche. Mais le Premier ministre tient bon.

"La majorité s’exclamait qu’elle n’avait pas ménagé les mises en garde. Elle dénonçait l’insensibilité technocratique du gouvernement et ne se gênait pas pour dire à de Gaulle qu’on n’en serait pas là s’il n’était pas allé chercher hors du parti gaulliste un commis comme chef du gouvernement."

Le 13 mars, Pompidou institue une commission, la commission Massé, chargée d’étudier la situation des houillères, et de faire des préconisations sur le futur. Cette commission est une habile tactique de Pompidou, car cela lui permet de dévier les attaques, et de pouvoir présenter un document comme base de négociation, document qui n’est pas préparé par lui mais par une personne externe, ce qui lui assure d’être écouté par les syndicats. Le rapport Massé est rendu le 23 mars. Le 25, Alain Peyrefitte fait une intervention télévisée afin de présenter la réalité de la situation aux Français. Le rapport plus l’intervention, conjugué à la lassitude, assurent un retournement de l’opinion, qui commence à se désolidariser des grévistes. Les syndicats comprennent alors qu’il est temps de négocier et de mettre un terme à la grève. Les négociations s’ouvrent le 1er avril, le 3 un protocole d’accord est conclu. Après deux mois de grève larvée, et un mois de grève dure, le premier grand conflit social de la Ve République et le plus important depuis 1948, s’achève.

Les conséquences d’une grève

Mais au bout de trois mois de grève, quelles conclusions peut-on tirer ? Les mineurs ont été le jouet d’organisations syndicales sans scrupules, qui se sont servis d’eux pour assurer leur hégémonie. Avant le déclenchement de la grève le ministre de l’Industrie avait proposé une augmentation salariale de 5.77%. Après la grève ils ont obtenu 8% d’augmentation, ce qui n’a pas comblé la perte salariale subie par l’arrêt de travail. S’ils n’avaient pas fait grève, ils auraient donc gagné plus d’argent. Echec pour les mineurs, cette grève fut aussi un échec pour les syndicats et les partis de gauche qui n’ont pas réussi à regagner la confiance perdue de l’opinion. Le véritable gagnant fut le gouvernement. La grève a permis de renforcer la constitution de 1958. La guerre d’Algérie avait illustré le rôle essentiel du président, ce conflit social a montré qu’elle était la place du Premier ministre, et comment le gouvernement devait réagir. Elle a aussi permis de consolider Georges Pompidou dans ses fonctions, lui que de nombreux parlementaires voyaient sur le départ. Elle l’a renforcé et la désigné comme successeur possible de de Gaulle, ce dont il ne se cache pas.

"La seule question qui compte maintenant, c’est de savoir comment assurer la continuité du régime. Personne ne peut dire, à cette heure, si le Général se présentera ou non. (…) Si je ne le poussais pas, encore plus énergiquement que les autres, à se présenter, il en déduirait que j’ai hâte de prendre sa place. En tout cas, à supposer qu’il décide de se retirer, il faudra que nous fassions tous bloc sur celui qui sera le mieux placé pour gagner. Si je m’étais cassé la gueule avec les mineurs, ça n’aurait pas pu être moi. Si la succession avait lieu aujourd’hui, ça ne pourrait être que moi."

L’analyse est lucide, comme est lucide aussi dans l’esprit de Georges Pompidou la suite future des événements :

"Mais tant de choses peuvent se passer d’ici là, qu’on ne peut encore rien dire."

Mais la méthode acquise en 1963 lui fut très utile pour régler l’autre grand conflit social de la présidence de Gaulle, celui de mai 1968, un conflit qui a beaucoup de points communs avec la grève des mineurs de 1963, mais où le prétexte n’est plus cette fois l’avenir du charbonnage, mais l’avenir de la jeunesse.

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