La cuisson des respounchous

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dimanche 26 avril 2015

Chronique gastronomique

J’ai oublié de préciser que respounchous se prononce répounchous. C’est toujours bon à savoir quand on veut discuter avec ceux qui les cueillent.

Une fois que la musette est remplie, on peut estimer qu’on en aura assez pour faire un repas. Il faut cueillir uniquement la partie supérieure, la partie inférieure étant dure et âcre. Le meilleur, c’est la tête, surtout quand elle bien grosse. On trouve aussi des respounchous petits et fins. Ils n’ont l’air de rien, mais ils sont très bons à consommer en salade. Quand il y en a beaucoup, ce sont de loin les meilleurs. Comment les consommer ? Une fois à la maison on les coupe en morceaux avec un couteau bien tranchant. On doit les couper sans effort. Quand c’est dur, on arrête, et on jette le reste. On passe ainsi toute la cueillette. Puis on les fait cuire une dizaine de minutes dans de l’eau bouillante salée. Pas plus, sinon ils perdent leur saveur et leurs vitamines. Pas moins, sinon ils restent durs. Il y a l’art de cuire les respounchous al dente. Le mieux est de les consommer sitôt coupé : ils se conservent mal au réfrigérateur, et ils ne supportent pas vraiment la congélation. Les produits frais, fraichement coupés, fraichement cueillis, sont toujours les meilleurs. C’est un véritable luxe que de posséder des produits frais, mais c’est cela le fait du luxe : passer une après-midi à cueillir ses légumes désirés et les manger le soir même. Pour d’autres, le luxe sera ces poissons pêchés du matin et cuit et mangé sitôt amenés au port. Pour d’autres, ce seront les fruits des verges de Lorraine ou du Tarn-et-Garonne, ces fruits mûris sur l’arbre et dégustés à point. Heureux les hommes qui connaissent les vraies saveurs des pêches et des abricots, des fraises et des prunes. Heureux les hommes qui peuvent faire l’expérience des produits frais ; ce qui suppose d’avoir et le temps et l’accès à la source. Voilà le luxe. Voilà ce qui distingue les hommes proches du vrai de ceux qui se contentent de produits bons, certes, mais qui n’ont pas, et de loin, les mêmes saveurs.

Quand ils sont cuits, on réalise une vinaigrette légèrement relevée. On fait cuire deux ou trois œufs, le mieux étant qu’ils soient mollets : à peine solide et subtilement liquide. Cela suppose une maîtrise de la cuisson qui relève du grand art. On verse la vinaigrette sur les respounchous, et on coupe les œufs en morceaux : de solides morceaux de blanc, et du jaune liquide qui se répand à travers tout le saladier. Pour rehausser le plat, on pourra y mettre quelques morceaux de ventrèche au préalable passés à la poêle. Cela apportera ce qu’il faut de viande, de sel et de moelleux. C’est sur la complémentarité des saveurs que l’on joue : l’acide des respounchous, le moelleux du blanc d’œuf et de la ventrèche, le sel de la salaison, la douceur du jaune en liquidité.

C’est un plat paysan, terroir et campagne. Un plat de la nature qui rappelle les coteaux calcaires de Broze, les champs jaunes et verts de la Bourdarié, là où la vue porte au plus loin que l’œil puisse voir, les heures de route nécessaire pour cueillir ces plantes, et les fourrés où l’on doit passer et les ronces qui s’agrippent aux vêtements. Ce sont des plats qui ont la douceur de l’enfance et la solidité de l’éternité des hommes. Des plats qu’aucun livre de cuisine n’a encore pu consigner, et que l’on se passe de bouche d’initié à oreille de gourmand. Des plats qui sont la mémoire des hommes et des régions ; de ces terroirs qui indiquent la densité culturelle des peuples, qui nous rappellent ce que sont les hommes et ce qui les fait vivre. Quand l’homme trouve son bonheur dans la joie de la transmission et des saisons sans cesse renouvelées, quand les années passent, que les âges se creusent et que les générations se perpétuent ; par la transmission, par l’héritage, par tout ce qui façonne des civilisations et des cultures durables. L’homme est un être qui mange et qui prie, qui donne et qui reçoit ; un être de relations et de transmissions, un être qui se construit pour les autres, et qui ne trouve sa justification que relié aux êtres qu’il aime et aux personnes qui le bâtissent.

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