L’importance du rite malikite au Maroc.

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samedi 22 novembre 2014

Le rite malikite, héritier de l’islam, joue un rôle essentiel dans la définition et la constitution du Maroc. C’est ce que nous présente ici Saâd Aqejjaj, grand connaisseur de la question.

Les écoles juridiques formées dès les premiers temps de l’Islam ont constitué des rites reflétant la diversité des peuples ayant embrassé l’Islam, la multiplication des opinions et des courants de pensée, ainsi que la diversité des groupes religieux, permettant de préciser les fondements de la loi, ainsi que le détail de ses conditions d’application. Leur existence tient essentiellement au fait que ni le Coran ni l’ensemble des paroles et actes du Prophète, que désigne en arabe le mot Sunna, n’apportaient directement de solutions et de réponses à tous les problèmes et questions concrets qui se posèrent à la communauté musulmane naissante et croissante, dans son existence quotidienne comme dans son organisation politique.

Deux principales écoles ou méthodologies se dégagèrent :
La première, celle du Hadîth, prônait l’application stricte et rigoureuse du Coran et de la Sunna, mettant l’accent sur la lettre et la narration. C’est pourquoi le Sunnisme est le courant religieux majoritaire de l’Islam.

La deuxième, l’école de l’opinion, plus interprétative que la première, prônait également l’attachement, le respect et l’application du Coran et de la Sunna, mais mettait davantage l’accent sur le rôle de l’intellect dans l’appréhension et l’interprétation des énoncés, ainsi que dans la déduction des jugements légaux, selon les règles de cette discipline. Ainsi, il existe quatre écoles juridiques dans le droit islamique : la Hanafite, la Malikite, la Shafi’ite et la Hanbalite, qui ont une façon différente de raisonner, mais ne sont pas, pourtant, en contradiction.

Le Malikisme ou Malékisme est une école juridique islamique se réclamant de Malik ibn Anas, juriste, savant et Imâm de Médine, et s’appuyant essentiellement sur la pratique médinoise, qui a manifesté un important attachement au Coran, privilégiant une grande maîtrise de la langue arabe, mais aussi à la Sunna du Prophète et à la guidance des Compagnons - leurs verdicts religieux, leurs jugements juridiques et la pratique qu’ils impliquent. L’Imâm Malik fondait ses jugements sur la reconstitution minutieuse des pratiques de la communauté du Prophète lui-même, mettant en avant l’harmonie collective qui résulte du respect des obligations personnelles. Il préférait le consensus des juristes et savants de Médine aux Hadiths prophétiques, l’analogie juridique, la préférence juridique et la présomption de continuité, en prenant en compte l’usage, la coutume et les pratiques des habitants de Médine, à condition qu’il n’y ait pas de texte dans le Coran ou dans la Sunna tranchant la question et que cela n’entraîne pas de mal ou de nuisance. Le rite Malékite s’est implanté en Afrique du nord et a su étendre son influence, au-delà du Maghreb, à toute l’Afrique de l’ouest et subsaharienne, à mesure qu’y progressait l’islamisation. De nos jours, l’Afrique compte des musulmans malikites au Sénégal, au Mali, au Niger, au Togo, au Tchad et au Nigéria.

Aujourd’hui, les pays d’Afrique de l’ouest et subsaharienne où vivent d’importantes communautés musulmanes suivant l’école juridique malikite et attachées à l’Islam confrérique, dont l’influence provenait principalement du Royaume du Maroc, sont confrontés à la bataille que se livrent actuellement de nouvelles organisations islamiques qui sont en relation avec le Soudan, pays représentant le minaret de l’islamisme en Afrique noire, mais aussi au service du rayonnement des Etats arabes donateurs aux ambitions hégémoniques, comme l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar et jadis la Libye, marqués par une forte croissance économique entretenue par le commerce de produits pétroliers. Cette dynamique de l’Islam dans l’espace public et sur le terrain politique, à un moment où la plupart des pays d’Afrique de l’ouest et subsaharienne connaissent de profondes mutations économiques, politiques et sociales, inquiète les pouvoirs publics. Cette revitalisation de l’Islam dans ces sociétés trouve son origine dans le sentiment d’incertitude et d’insécurité que connaissent de nombreuses populations frappées par la précarité. Cette reviviscence religieuse à l’œuvre en Afrique subsaharienne n’est pas un phénomène nouveau. La colonisation elle-même a été porteuse de mouvements politico-religieux et propice à une large diffusion des religions tolérées, tant que les intérêts des puissances coloniales n’étaient pas menacés. Mais, après les indépendances, l’influence religieuse s’est évanouie pendant la construction des Etats-nations, marquée par l’affirmation de régimes autoritaires, la prévalence du parti unique et de l’idéologie marxiste-léniniste. L’effondrement des Etats africains sous la pression de la récession économique mondiale, cercle vicieux de la dette, des programmes d’ajustement structurel et de la mauvaise gouvernance, a laissé le champ libre aux nouvelles organisations islamiques, qui profitent du processus démocratique favorable à la liberté religieuse et associative et se montrent déterminées à implanter la religion musulmane au cœur de la sphère publique, à réintroduire l’Islam dans l’arène politique, en tentant d’apporter à une certaine conception de l’Islam traditionnel un souffle nouveau.

L’émergence de ces nouvelles organisations islamiques - organisations non gouvernementales et associations islamiques - constitue le vecteur d’une prise de conscience islamique, appelée à agir au cœur des sociétés dites modernes, voire sur le terrain politique. Leur succès repose essentiellement sur leur activisme à travers diverses formes d’islamisation ou de réislamisation : activités sociales, actions humanitaires, bourses d’études, pèlerinage, prédications sur les places publiques, cellules de prière, vulgarisation de la littérature islamique, conquête territoriale à travers l’implantation des mosquées, la multiplication des écoles coraniques et l’accès aux médias.

En dépit de leur dynamisme et de leur indéniable capacité de mobilisation, les nouvelles organisations islamiques sont la proie des clivages et des rivalités, entre traditionalistes, favorables à un retour à la tradition du Prophète, et réformistes prônant l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, entre convertis et reconvertis, entre autochtones et allogènes. De plus, elles entretiennent fréquemment des rapports étroits avec les Etats laïcs et les Etats arabo-musulmans. Par conséquent, elles n’échappent pas à la récupération politique, à l’instrumentalisation idéologique, sans parler d’autres dérives.

C’est pourquoi, dans un Maghreb désuni et déstabilisé au lendemain des révolutions arabes, le Royaume du Maroc incarne une certaine stabilité politique et religieuse aux yeux de l’Afrique de l’ouest et subsaharienne, notamment parce qu’il a une expérience capitale dans le rayonnement de l’Islam au cœur de cette zone stratégique, étant observé que la majorité des populations du Mali, par exemple, est musulmane sunnite, de rite malékite, tidjane ou soufi, comme le Royaume du Maroc. Du reste, le Royaume du Maroc a su entretenir une relation spirituelle étroite avec le Mali, ainsi qu’avec d’autres pays de la région, notamment grâce aux soufis, dont les disciples, de part et d’autre du Sahara, diffusent un Islam de tolérance. Ainsi, l’objectif prioritaire du Royaume du Maroc est d’assurer la sécurité religieuse et culturelle dans le Sahel et de jouer de sa grande influence en formant des imams maliens au Maroc, qui mettront en oeuvre leur formation pour transmettre un Islam de lumière, remporter la guerre de l’esprit, face à l’hégémonie wahhabite, au cœur du continent africain subsaharien, dans un contexte de renouveau religieux. Enfin, les imams maliens qui seront formés au Maroc suivront un programme d’enseignement, dont les cours dispensés en deux ans, comprendront, outre l’étude du texte sacré et des fondamentaux dogmatiques, des sessions portant sur l’histoire, la géographie et les institutions du Mali, conduites en arabe et dans les langues nationales du pays.

Saâd Aqejjaj

Article publié initialement sur le site de l’AEDES.

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