L’histoire en couleurs

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lundi 7 décembre 2015

L’histoire n’est pas que tragédies, guerres et attentats. À la suite de l’école des Annales, les historiens s’intéressent aussi à l’histoire culturelle qui comprend notamment l’histoire des couleurs. Les expressions nous sont familières : blanc comme un linge, vert de peur, rire jaune, broyer du noir, si bien qu’on peut penser que le symbole de la couleur est normal. Pour autant, chaque couleur a une histoire, qui évolue au fil des siècles. Nous devons leur écriture à Michel Pastoureau qui travaille sur ces questions depuis de nombreuses années. L’étude de l’histoire des couleurs renvoie aussi bien à l’histoire culturelle et anthropologique qu’à l’histoire de l’économie et de la chimie. Il y a en effet une technique des couleurs, qu’on les obtienne soit par les plantes (la garance pour le rouge, l’indigo pour le bleu) soit par des métaux (oxyde de fer ou carbone). À partir du XIXe siècle, les chimistes parviennent à faire des couleurs synthétiques, ce qui bouleverse aussi bien le monde de la peinture que celui de la teinturerie.

Le rouge est une couleur ambivalente. Dès l’Antiquité elle est associée au pouvoir, c’est-à-dire la guerre et la religion. Le dieu Mars est en rouge, de même que les centurions romains et les prêtres. Porter des chaussettes rouges, comme quelques anciens Premiers ministres, témoigne que l’on n’a pas complètement abandonné le pouvoir. De même, les professeurs corrigent-ils en rouge, pour signifier à l’élève les fautes qu’il a commises. Le rouge signifie aussi bien la vie que la mort. C’est le feu qui purifie, c’est l’esprit qui souffle, c’est le sang qui donne la vie. Mais ce sont aussi les flammes de l’Enfer, Satan et le sang qui s’échappe du corps sans vie.
Le jaune est une couleur honnie. L’or a capté tous les éléments positifs : la richesse, la magnificence, la fête. Au jaune, il ne reste que l’opprobre. C’est la couleur du traître, Judas est toujours représenté en jaune, et c’est la couleur de la mort, les corps jaunes du Radeau de la Méduse. L’étoile jaune a définitivement fixé l’infamie sur cette couleur qui exclue et stigmatise. Il ne reste que Goethe et son héros Werther, qui porte un gilet jaune, pour montrer que cette couleur peut être un peu positive. Dans les goûts des Français, la couleur bleue vient en tête, suivie du vert, du blanc et du noir. Le jaune termine toujours bon dernier.

La couleur verte n’échappe pas à l’histoire. Le vert, c’est la nature et l’environnement, mais aussi tout ce qui est instable, mouvant et changeant. Le vert est associé au jeu : c’est la couleur du tapis, du hasard et de la chance. Dès le XVIe siècle, les casinos de Venise ont des tapis verts, où l’on y jette l’argent. Au XVIIe, les tables de jeu de la cour sont vertes. Quand, en 1792, les États-Unis commencent à imprimer des dollars, ils choisissent le vert comme ornement de leurs billets, car c’est la couleur qui symbolise l’argent. C’est au XIXe siècle que le vert est associé à la nature. Les pharmacies arborent alors des croix vertes, pour rappeler que leurs produits sont fabriqués à base de plante. On retrouve le vert dans les emblèmes nationaux, tel le poireau du Pays-de-Galles, et dans les équipes sportives, les Verts de la grande époque. Daesh n’a pas repris le vert de l’islam, mais le noir, couleur du deuil et de la terreur. Décidément, même l’histoire des couleurs peut être tragique.

Chronique parue dans l’Opinion.

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