L’esclavage n’est pas l’enfant du capitalisme

Vous êtes ici : Accueil > Articles > L’esclavage n’est pas l’enfant du capitalisme

samedi 9 janvier 2016

Pour beaucoup, le lien entre capitalisme et esclavagisme va de soi et le développement de l’Occident serait la conséquence du commerce triangulaire reliant les deux rives de l’Atlantique. Cette idée reçue ne résiste pourtant pas à l’analyse comme l’ont démontré les travaux des historiens ces dernières décennies.

Le trafic négrier a beaucoup excité les esprits et les chiffres les plus abracadabrants ont circulé : les bénéfices auraient dépassé les 100 % ! Aujourd’hui, les études ont montré la relative modestie des profits, entre 5 et 10 %, que ce soit aux Provinces-Unies, en France ou en Angleterre, les Anglais étant néanmoins les mieux lotis. En effet, l’industrie anglaise offrait plus de produits intéressant les vendeurs d’esclaves que la France, les navires étaient plus légers, plus rapides, utilisant moins d’hommes d’équipages, etc.

Un investisseur français pouvait obtenir un profit comparable à ceux offert par la traite en souscrivant à un emprunt d’État. Mais les profits de la traite étaient surtout très irréguliers et nombreuses étaient les expéditions déficitaires : c’était donc une « loterie » où l’on espérait réussir un « gros coup ». Et certains le réussissaient.

Le système entre en crise à la fin du XVIIIe siècle. D’où le retrait du Danemark par exemple, premier pays à renoncer à l’esclavagisme.

Au XIXe siècle, la traite devient illégale, du fait de son interdiction par le Royaume-Uni et de la chasse aux négriers par la Royal Navy, et dominée dès lors par les Brésiliens et les Cubains. On ne peut dire pourtant que l’esclavage ait contribué très positivement au développement économique de Cuba et du Brésil.

Mais qui sont les négriers ? À Nantes, capitale française de la Traite, les armateurs sont des fils de négociants pour les deux tiers, auxquelles s’ajoutent les petits nobles bretons, tous cherchent un moyen d’ascension sociale. Mais l’armement est très concentré : 22 familles réalisent le quart de l’armement français. Que la traite ait enrichi un certain nombre d’individus, nul doute là-dessus. Que ces capitaux aient fortement contribué à la formation du revenu national est une autre affaire.

C’est la fameuse question de l’accumulation primitive du capital chère à Marx et qui aurait été nécessaire au décollage industriel. Il voyait dans la conquête et le pillage, le développement de l’esclavage en Amérique puis en Afrique un élément important. C’est d’ailleurs le sujet même de Capitalism and Slavery publié en 1944 d’Eric Williams pour qui le commerce colonial, dont la traite, a été « un des principaux ruisseaux de cette accumulation du capital ».

Le lien supposé entre capitalisme et esclavage, serait donc avant tout le financement de l’industrialisation par les profits de la traite : malheureusement pour cette belle théorie les études ont montré que ce rôle avait été plus que faible.

Un des grands mythes est celui du financement de la Révolution industrielle par les énormes profits du commerce colonial, formulation savante du « pillage du Tiers monde par l’Occident ». Ainsi l’industrialisation serait le résultat de l’« exploitation coloniale » et de la traite des esclaves. Liverpool aurait « fertilisé » le Lancashire tandis que les tobacco lords de Glasgow seraient les financiers des débuts de la révolution industrielle en Écosse. Ces thèses séduisantes ont fini par être abandonnées faute de preuves. Toutes les recherches ont montré que les fortunes amassées par les nababs des Indes orientales (l’Asie) et les « merchants » des Indes occidentales (l’Amérique) ont été utilisés à des achats de domaines fonciers ou de fonds d’État, à des prêts hypothécaires aux planteurs, mais certainement pas à des investissements dans l’industrie. On n’a relevé que quelques cas exceptionnels : une fonderie de cuivre en 1737 près de Swansea par des négociants des Indes occidentales de Bristol et une usine métallurgique à Sirhowy en 1778 par des négociants en thé et épices de Londres, par exemple. Certes, l’essor du commerce colonial a pu stimuler indirectement la croissance industrielle en élargissant les marchés et en enrichissant le pays : mais alors pourquoi la Révolution industrielle anglaise s’accélère-t-elle après 1783 avec la perte des Treize colonies et la décadence des « îles à sucre » ?

L’étude des grandes familles nantaises par Olivier Pétré-Grenouilleau (L’Argent de la traite, Paris 1997) a montré qu’ils n’ont été que des industriels d’occasion.

Lire la suite sur Contrepoints.

Thème(s) associés :

Par Thèmes