L’école de Salamanque

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jeudi 24 décembre 2015

L’école de Salamanque irrigue le libéralisme

En France, l’école de Salamanque est peu connue. Peut-être parce qu’elle est espagnole, peut-être aussi parce qu’elle irrigue la pensée libérale, forcément mal vue. C’est pourtant un des trois pôles intellectuels du libéralisme, avec l’école autrichienne et l’école de Paris. Pôle d’autant plus intéressant que ses membres ont d’abord initié une réflexion morale, pour aboutir à des conclusions économiques. Preuve que morale et économie ne s’opposent pas, et que le système économique ne peut fonctionner sainement sans le respect de quelques normes vertueuses. Preuve aussi que les libéraux ne sont pas les êtres froids et uniquement attirés par le gain au mépris des conséquences humaines, comme se plaisent à les dépeindre les adversaires de la tradition libérale. C’est donc en Espagne, au XVIe siècle, à l’université de Salamanque, que se cristallise cette réflexion nouvelle. Elle est portée par Francisco de Vitoria (1483-1546), le maître de ce mouvement, théologien espagnol et dominicain. Les autres figures marquantes sont Domingo de Soto (1494-1560), lui aussi dominicain, puis Luis de Molina (1535-1600) et Francisco Suarez (1548-1617), tous les deux jésuites.

La conception du libéralisme développée par cette école est d’abord juridique. Ces auteurs pensent l’articulation du droit et de la liberté en se fondant sur la loi naturelle. Puisque tous les hommes partagent la même nature, alors ils ont les mêmes droits : le droit à la vie et au respect de leur corps, ce qui inclut la propriété privée, le droit à la liberté d’expression. Et puisque les hommes vivent en société, alors le droit naturel s’étend à cette dernière. La société doit donc protéger le droit naturel et le garantir.
Dans le domaine économique ces théologiens essayent de résoudre les questions qui se posent à leur temps. Vittoria fut ainsi questionné par des marchands pour savoir s’il était moral de s’enrichir en commerçant. Il constata que l’ordre naturel permet la circulation des biens, des idées et des personnes afin qu’avec cette libre circulation puisse se construire une société meilleure. Par conséquent, le commerce n’est pas moralement répréhensible puisqu’il contribue au bien-être de la société. Une telle conception révolutionna la vision de l’économie, et participa à l’essor financier de l’Espagne et des Flandres.

Autre question, la valeur des objets et la fixation des prix. Luis de Molina développa la théorie de la valeur subjective du prix. Puisque chaque personne a une vision différente de l’utilité d’un bien, alors le juste prix est celui auquel on arrive par un accord mutuel entre le vendeur et l’acheteur, à condition que le commerce soit libre. Cela rejoint la théorie de l’offre et de la demande.

Enfin, cette école a grandement contribué à fournir une meilleure compréhension de l’intérêt. Ces auteurs comprirent que l’argent était une marchandise intégrée dans le système des échanges, et qu’il était donc légitime de percevoir une rémunération sur son prêt. Doté de cette révolution mentale aussi bien qu’économique, le commerce pu s’accroître à l’intérieur des territoires espagnols.

La pensée de l’Ecole de Salamanque tomba dans l’oubli avec la fin du Siècle d’Or espagnol. Il fallut le XXe siècle pour que les économistes s’intéressent de nouveau à elle et diffusent ses idées. Gageons qu’un jour cette pensée soit facilement accessible en français car elle est un des chaînons manquants de la tradition libérale en Europe.

Chronique parue dans l’Opinion.

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