L’amertume des pissenlits

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dimanche 4 mai 2014

Chronique gastronomique

L’amertume des pissenlits

Avec le printemps revient le temps des pissenlits. Ils n’ont pas été classés dans la catégorie des légumes oubliés, ce ne sont d’ailleurs probablement pas des légumes. On les observe d’abord pour leur fleur d’un jaune vif et étincelant. C’est assez commun les fleurs jaunes dans la nature : il y a le colza, les boutons d’or, les tournesols, les pissenlits, les genêts, d’autres encore ? Les hommes n’aiment pas tellement le jaune, c’est la couleur du traitre ou de l’obséquieux. La nature, elle, l’aime bien, revanche des coloris sur les goûts et les sentiments.
Quand les fleurs ont fané, il reste les feuilles, que l’on ramasse à l’aide d’un petit couteau que l’on enfonce dans le cœur de la plante. On le fait tourner pour couper les feuilles à la racine, et on les récupère. On les lave soigneusement à l’eau tiède. Voilà de bons pissenlits. Mais la recette n’est pas achevée, l’essentiel étant dans l’accompagnement, le pissenlit n’est qu’un prétexte pour apporter du goût, cette amertume que l’on retrouve dans le chicon et qui relève les plats.

Donc, d’abord, une vinaigrette. On mélange sel et poivre, vinaigre de vin et huile de colza, une pointe de moutarde.
Ensuite, faire revenir des lardons dans leur gras, dans une poêle posée sur un feu vif. Les lardons diminuent, le gras fond et la viande se rétracte ; attendre qu’ils soient dorés, croustillants.
Puis, simultanément, préparer des œufs au plat. D’abord, saler la poêle, pour que le sel entre dans l’œuf, mettre un peu d’huile, légèrement, et casser les œufs au-dessus de la poêle. Quand le bord de l’œuf commence à brunir, mais que le jaune est encore liquide, à la limite de la solidification, c’est prêt.

Ne reste qu’à rassembler tous les ingrédients. Les pissenlits, dans un grand saladier. La vinaigrette, que l’on mélange aux pissenlits. Les lardons. Nouveau mélange. Les œufs au plat, posés délicatement sur l’ensemble. Les jaunes se percent, ils coulent sur les racines amères, dont le goût se mêle à l’acidité de la vinaigrette. Le moelleux du blanc répond à la vivacité du vinaigre, la tendresse des feuilles craque sous les dents.

C’est le printemps. L’herbe est verte, les pommiers sont en fleurs, les fruitiers préparent la production. Vous êtes bien, avec votre salade de pissenlit, une bière brune à la main, dans une chope. Pourquoi allez plus loin ? Le légume n’est peut-être pas retrouvé, mais il est sublimé, vous n’êtes pas dans l’opéra, mais dans la musique de chambre. C’est le plat vite fait, simple, à déguster dans le décorum d’une nappe à carreaux, de couverts en inox, avec l’air frais qui passe à travers la vitre, et le vent qui fait bouger les branches. L’époque des pissenlits est fugace, il faut se dépêcher de les ramasser, avant qu’ils meurent, avant que l’herbe soit tondue, avec que des engrais soient déposés. Le temps fugace de la belle époque des pissenlits, que peu ramasse, faute de savoir que leur trésor ne réside pas dans l’or de leurs fleurs, mais dans l’amertume de leurs feuilles.

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