L’Occident et la culture (2/3)

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lundi 10 juin 2013

II/ Déclin et crise en Occident

1/ Le thème omniprésent de la crise

On ne cesse de parler de crise. D’ordre économique d’abord, la crise rejoint le thème du déclin. C’est parce qu’il y a crise en Occident que celui-ci connaîtrait un déclin. Cette crise se fonde sur l’idée que les autres nous rattrapent et nous dépassent, que les autres, c’est-à-dire les puissances émergentes, Chine, Inde, Brésil, vont prendre notre place et nous reléguer loin derrière. Le thème de la crise est d’abord une peur de perdre notre première position et, en tant que tel, c’est plutôt une bonne chose, car cela nous aiguillonne pour maintenir cette position. La crise est notre moteur. Parler de crise, c’est aussi regarder l’autre avec concupiscence. Le jardin du voisin est toujours plus vert, comme Jean Fourastié intitulait un de ses livres. Par jalousie, on veut ce que le voisin possède.

Pour cela, il faut se donner les moyens d’atteindre l’état convoité, donc de progresser. La crise est, là aussi, source d’amélioration : elle nous fait passer d’un ordre à un autre ordre, plus élevé. La crise est normale, elle est l’élément principal des sociétés démocratiques. Tocqueville faisait remarquer qu’une des différences entre une société aristocratique et une société démocratique tient à la présence du mouvement. La société aristocratique est immobile et fixe. Si elle évolue, c’est sur un temps long. La société démocratique, au contraire, est toujours en mouvement. Le temps semble accéléré, et cela n’est pas dû uniquement au progrès technologique. Il y a ainsi une insatisfaction chronique : les individus ne se satisfont jamais de leur état actuel ; ils veulent toujours davantage. Ce faisant, il contribue au développement de leur pays, mais aussi à leur état neurasthénique ou dépressif car, toujours insatisfait, ils se condamnent à ne jamais être heureux.

La crise est donc un état normal d’une société démocratique, elle est l’expression du mouvement, et du passage d’un ordre à un autre. Elle est un phénomène de transition. Là où elle prend des proportions dramatiques, c’est quand un groupe ne change pas et reste dans l’état ancien : il se condamne ainsi à disparaître. C’est le cas de nombreuses entreprises qui n’arrivent pas à s’adapter aux nouvelles conditions, et qui meurent. Elles n’ont pas su profiter de la crise, qui est toujours une grande chance. C’est pourquoi elles subissent une crise interne, qui amène leur disparition. Ce que l’on appelle alors crise, c’est leur incapacité à profiter des bienfaits de la crise. Ce phénomène est étudié de façon approfondie par Jean Fourastié ; c’est ce qu’il nomme la transition économique.

Au-delà de ce phénomène inhérent à leur structure sociale, les Occidentaux sont aussi convaincus de la crise de leur civilisation. C’est un mal récurrent, depuis Paul Valéry et la Première Guerre mondiale. Si on croit au déclin, c’est que l’on croit à un âge d’or, à une uchronie, c’est-à-dire un temps qui n’a jamais existé. Où fixons-nous notre âge d’or ? Généralement autour de 1900, à l’époque où l’Europe dominait le monde. C’est en tout cas la version que proposent de nombreux manuels scolaires aux élèves. En 1900 donc, l’Europe était à son apogée. Si c’est le cas, elle est aujourd’hui à un super apogée, nul ne peut lui dénier le fait qu’elle est beaucoup plus puissante aujourd’hui qu’il y a 100 ans, notamment au niveau économique. Notre déclin n’est donc pas absolu, mais relatif : ce n’est pas nous qui chutons, ce sont les autres qui nous rejoignent. C’est le développement de nombreux pays qui arrivent enfin aux standards de vie internationaux qui nous fait croire que nos standards à nous ont régressé. Nous avons continué à croître, les autres ont commencé, et dans ce rétrécissement des inégalités nous croyons voir une preuve de notre chute. Ce qui a changé durant cette période, c’est la fin de la colonisation.

Fut un temps où l’Europe dominait physiquement le monde, en en contrôlant une grande partie de ses territoires. Le continent était alors ivre de sa puissance. La décolonisation a été vécue comme un grand traumatisme, et certains y ont vu une perte de puissance de la part de l’Occident. Par un retournement intellectuel, la gauche républicaine et socialiste, qui était colonialiste et assimilationniste, s’est fait le fer de lance de la décolonisation. À l’inverse, la droite conservatrice, opposée depuis le début à l’aventure coloniale, s’est prise de passion pour ce mouvement au moment où celui-ci cessait. Ces hommes ont toujours vécu en décalé de l’histoire et soutenu des idées qui n’étaient plus dans l’air du temps. De cette parenthèse malheureuse ne reste que les mythes, et la certitude chez certains de croire que les colonies ont enrichi la France, quand les historiens de la question ont démontré, depuis quelques décennies, que les colonies l’ont au contraire appauvrie. Le mythe est tenace et continu à distiller un venin terrifiant.

2/ Le rejet de l’occidentalisation

L’idée du déclin est aussi alimentée par le fait que nos anciennes colonies rejettent désormais l’occidentalisation. Longtemps, l’occidentalisation fut le chemin obligé de la modernisation, comme l’exprime Mustapha Kemal :

« Pour échapper à l’anomie, les musulmans n’ont pas le choix, car la modernisation requiert l’occidentalisation. (…) L’islam n’est pas une alternative en termes de modernisation. (…) On ne peut éviter la sécularisation de la société. La science et la technologie modernes requièrent de se fondre dans les processus de pensée qui vont de pair avec elles. De même pour les institutions politiques. Le contenu autant que la forme doivent être stimulés. Il faut donc reconnaître la domination de la civilisation occidentale de façon à pouvoir apprendre d’elle. On ne peut faire l’économie des langues et des structures d’enseignement européennes, même si ces dernières favorisent la liberté de pensée et le laxisme. Les musulmans pourront se moderniser et donc se développer seulement s’ils acceptent le modèle occidental. »

À partir des années 1950 a débuté un phénomène de rejet de l’Occident et de retour aux valeurs traditionnelles. Mossadegh a joué un grand rôle dans ce mouvement, même s’il fut écarté. Puis, de nouveau, vient l’action de l’Iran. En reversant le Shah, c’est l’Occident que le peuple a chassé. En installant les ayatollahs, c’est le retour à leur culture qu’il a prôné. Ce phénomène est nommé indigénisation. Ce n’est pas parce que des individus mangent des hamburgers, d’habillent en jean et parlent l’anglais international qu’ils sont Occidentaux pour autant. Être Occidental, ce n’est pas adopter une tenue extérieure, c’est avoir une vision occidentale du monde. Nous y reviendrons dans la troisième partie. Or, que ce soit le rejet de la religion occidentale, de sa pensée, de son système politique, le mouvement de refus de l’Occident est de plus en plus marqué. Notre modèle n’attire plus, et nous interprétons cela comme un élément négatif. Nullement. Le fait que des peuples reviennent à leur culture est au contraire une bonne chose. C’est la conséquence de la mondialisation qui, loin d’uniformiser les hommes, les différencie, en permettant à chaque culture d’exister. La décolonisation culturelle et intellectuelle que nous connaissons aujourd’hui est un phénomène qui ne fait que commencer. Dans sa forme la plus radicale il a pour nom islamisme.

3/ L’acédie intellectuelle

Ce qui est vrai, et ce qui fait de l’Europe le continent malade du monde, c’est que la culture occidentale, hormis peut-être aux États-Unis, a renoncé à se défendre. Notre mal profond, d’où est issue notre monomanie du déclin, c’est le poison du relativisme. Le refus de la vérité, l’idée que tout se vaut, que les normes morales et politiques dépendent de la pensée de chacun, qu’il n’y a plus rien de tangible ni de transcendant, forme la gangue ardente du relativisme. Non seulement l’idée de vérité est niée, mais énoncer des faits vrais est passible de sanction. En rejetant la vérité, nombre de pays européens ont érigé un ministère de la Vérité, à l’instar de 1984, qui est un ministère a diffusé des erreurs et des mensonges. Notre civilisation n’apparaît plus capable de se défendre, parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire. Ce faisant, elle s’expose au risque d’être envahie, physiquement ou intellectuellement, par d’autres civilisations. C’est adopter l’attitude inverse de la Pologne, qui est demeurée en tant que culture libre, en dépit des invasions et des découpages, parce que les Polonais n’ont pas cédé au gouffre du relativisme culturel.
Cinq éléments témoignent d’un déclin de l’Occident :

Le développement de comportements antisociaux, qui passe par la consommation de drogue et le culte de la pornographie, qui est une forme de drogue.
Le déclin de la famille, qu’illustre la croissance continue des divorces, le refus de se marier, c’est-à-dire de s’engager, la promotion de comportements intrinsèquement désordonnés.
La destruction du passé, l’amnésie de notre histoire.
La faiblesse des comportements éthiques, le mensonge et le vol érigés en principe.
Le rejet de l’activité intellectuelle et la désaffection pour le savoir, qui passe par le culte du sport, la destruction de l’école, l’égalitarisme scolaire.

Mettre un terme à ces cinq éléments de déclin, relever le défi de la vertu et de l’intelligence sont des conditions indispensables à l’Occident pour ne pas perdre son rang, et retrouver son aura morale et culturelle. D’autant que cette aire civilisationnelle est la seule à adopter de tels paradigmes, si bien qu’elle subit le rejet des autres civilisations mondiales. Partout ailleurs, on défend la famille, on s’intéresse à la vertu, on essaye d’élever le degré de l’intelligence. Notre volonté constante d’aller vers une voie qui n’est pas celle choisie par les autres cultures nous amène à nous couper de plus en plus du reste du monde.

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