L’Incorrect : La liturgie de la table

Vous êtes ici : Accueil > En bref > L’Incorrect : La liturgie de la table

lundi 27 mai 2019

La table est une liturgie qui sait s’adapter à chaque occasion. Du repas quotidien au repas de fête, du pique-nique en forêt au repas entre amis deux objectifs sont visés : mettre les plats et les produits en valeur, faciliter la convivialité et permettre de passer un moment mémorable. Outil diplomatique tout autant que lien familial, les arts de la table comptent un grand nombre d’entreprises qui savent les développer. Christofle et ses couverts en argent, fondé en 1793, quand d’autres se préoccupaient de trancher les têtes, les porcelaines de Sèvres et de Limoges, les verreries de Baccarat, les nappes et les serviettes des Vosges forment tout un ensemble d’entreprises dont certaines sont séculaires.

Plus que jamais, la table est le lieu de la transmission. Outre que les repas permettent de transmettre l’histoire des familles et d’échanger entre amis, c’est aussi par l’oralité que se transmet l’art délicat de la liturgie de la table. Boris Viand et sa complainte du progrès n’ont pas tout effacé, on sait encore offrir autre chose aux mariages que des autocuiseurs et des robots mixeurs : des ménagères en argent, des nappes en coton de qualité, des assiettes en porcelaine fine qui pourront ensuite être hérités par les générations à venir. Reprenant la forge paternelle en 1948, Guy Degrenne a démocratisé les couverts en inox, permettant aux foyers des Trente Glorieuses de s’équiper en couverts de qualité désormais meilleur marché. Son pendant féminin, Geneviève Lethu, entreprise qui porte le nom de sa créatrice, propose textiles, verres et articles pour la cuisine.

Tout est fait pour accompagner la table de la production à la consommation. Les couteaux sont souvent les parents pauvres de la table, alors que l’on trouve à Thiers d’excellents couteliers qui proposent des versions modernisées du thiers et du laguiole. Tout comme Garnier-Thiebaut, qui fêtera bientôt son bicentenaire et Lin Vosges, un siècle d’existence. Deux entreprises textiles qui ont su surmonter les crises et les difficultés et qui continuent de produire en France. Dans Les récits de la Kolyma, Varlam Chalamov explique qu’il a surmonté la déshumanisation des camps soviétiques en se forçant à faire usage d’un linge sale comme nappe tandis que les autres détenus mangeaient à même leur gamelle. C’est le propre des bonnes manières que d’être un savoir-vivre, c’est-à-dire un savoir-être. La table crée un espace clôt de la civilité et de l’art d’être homme. Une belle table est le début d’un repas réussi autant qu’un hommage aux artisans qui ont permis la réalisation de chacun des objets. On n’imagine plus les avancées techniques qu’il a fallu pour maîtriser le verre, le fer et le tissage, des découvertes industrielles qui s’effacent derrière la beauté des objets et les plaisirs de la table. L’humaniste Érasme a écrit un traité des bonnes manières pour apprendre à se tenir à table. Savoir tenir les couverts et une conversation, faire usage de sa serviette et se montrer polie quant au service des plats. Tout est formel parce que tout est humanisé : on ne bouffe pas, on dîne.

Lire en ligne.

Thème(s) associés :

Par Thèmes