L’Eglise n’a pas brûlé Giordano Bruno

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dimanche 6 avril 2014

Contrairement à une légende tenace -une de plus !- l’Eglise n’a pas condamner à mort Giordano Bruno, ce fou du XVI° siècle aux idées forts dangereuses.

Bruno est excommunié par les calvinistes et les luthériens, l’Inquisition le juge « hérétique impénitent, opiniâtre et obstiné », il est brûlé sur le Campo dei Fiori à 52 ans le 17 février 1600.

Pour comprendre l’histoire de son procès, les raisons de sa condamnation et finalement pourquoi il fut brûlé, rien ne vaut un détour aux sources. Voici un document de première importance, la lettre d’un témoin oculaire, Kaspar Schoppe, protestant converti au catholicisme, qui écrit à un ami protestant afin de lui expliquer les raisons d’une telle condamnation.

« Aujourd’hui (…) Giordano Bruno a été brûlé pour hérésie, au vu et au su du public, sur la place du Campo dei Fiori, devant le théâtre de Pompée. (…) Si tu étais à présent à Rome, tu entendrais dire de la plupart des Italiens que l’on a brûlé un luthérien, et de la sorte tu ne serais pas médiocrement confirmé dans ton opinion de la sauvagerie des catholiques romains. Mais tu dois savoir que nos Italiens ne tracent pas entre les hérétiques une ligne blanche et qu’ils ne savent pas faire la différence, mais tout ce qui est hérétique, il le regarde comme luthérien. Je prie Dieu de bien vouloir les garder dans cette simplicité, pour qu’ils ne sachent jamais en quoi une hérésie diffère des autres. Autrement je crains en effet que cette science du discernement ne leur coûte trop cher. Pour apprendre de moi la vérité même, je vais te narrer l’affaire. (…) Nul absolument, qu’il soit luthérien ou calviniste, à moins qu’il ne soit relaps ou qu’il ne fasse publiquement scandale, ne court aucun danger à Rome, encore moins n’est jamais puni de mort. Telle est l’intention de Sa Sainteté, notre Seigneur, que l’accès à Rome soit librement ouvert à tous les luthériens, et qu’ils soient accueillis par les cardinaux et les prélats de la Curie avec bienveillance et sorte démonstration d’humanité. (…) Peut-être moi aussi croirais-je à la rumeur vulgaire que le Bruno en question a été brûlé pour luthéranisme, si je n’avais assisté à l’Office de la Sainte Inquisition lorsque l’on a prononcé la sentence contre lui et si je n’avais ainsi appris quelle hérésie exactement il avait professée. Ce Bruno, en effet, avait pour patrie Nola dans le royaume de Naples, et avait fait profession chez les dominicains ; comme il y a 18 ans il avait commencé de douter au sujet de la Transsubstantiation (…) et même à la nier purement et simplement, et aussi à mettre en doute la virginité de la Bienheureuse Marie (…) il est parti à Genève. Et là, après un séjour de deux ans, et parce qu’il n’approuvait pas en toutes choses le calvinisme (car rien ne conduit plus directement à l’athéisme), il fut chassé à Lyon, puis de là il vint à Toulouse et enfin à Paris. Là il remplit les fonctions de professeur extraordinaire, puisqu’il voyait que les ordinaires étaient contraint d’assister au rite de la messe. Ensuite, étant allé à Londres, il y publia un petit ouvrage De bestia triumphante –qui traitait du pape. De là il est parti pour Wittemberg, où il a proclamé publiquement sa foi si je ne me trompe. De là, venu à Prague, il y a publié un livre De immenso et infinito ainsi qu’un De innumerabilibus et De umbris et ideais, dans lesquels il enseigne des choses épouvantables et complètement absurdes, par exemple que les mondes sont innombrables, que l’âme migre de corps en corps, et même qu’elle migre dans un autre monde ; qu’une seule âme peut informer deux corps ; que la magie est chose bonne et licite ; que le Saint Esprit n’est rien d’autre que l’âme du monde ; que le monde existe de toute éternité ; que Moïse a accompli ses miracles par la magie, dans laquelle il était plus avancé que le restant des Egyptiens ; que c’est lui qui a inventé sa législation ; que les Saintes Ecritures ne sont qu’un songe ; que les diables seront sauvés ; que seuls les Hébreux tirent leur origine d’Adam et Eve, tandis que les autres hommes viennent de deux autres parents que Dieu a créé la veille ; que le Christ n’est pas Dieu, mais qu’il a été un mage insigne et qu’il a trompé les hommes et que, pour cette raison, il a bien mérité d’être pendu, et non pas crucifié ; que les Prophètes et les Apôtres ont été des vauriens, des mages et que la plupart ont été pendus ; enfin il serait trop long de recenser toutes les monstruosités qu’il a soutenues par écrit ou de vive voix. Pour le dire en bref, tout ce qui a jamais été affirmé par les philosophes des païens, ou par nos hérétiques, anciens aussi bien que modernes, il l’a lui-même défendu. De Prague, il a été à Brunswick et Helmstedt, là on dit qu’il est resté un certain temps à enseigner. De là il est parti à Francfort pour y publier un livre ; enfin, à Venise, il est parvenu entre les mains de l’Inquisition, d’où après avoir passé un certain temps, il a été envoyé à Rome. Après avoir été très souvent examiné par le Saint Office de l’Inquisition et convaincu par les plus grands théologiens, il obtient un délai de quarante jours pour délibérer, puis il promit une palinodie, puis il défendit à nouveau ses fantaisies, puis il demanda encore un délai de quarante jours ; mais pour finir il n’a rien fait d’autre que de tromper le souverain pontife et l’Inquisition. Environ donc deux ans après être arrivé à l’Inquisition ici, le 9 février dernier, dans le palais de l’Inquisition suprême, en présence des illustrissimes cardinaux, membres du Saint Office de l’Inquisition, (…) des théologiens consulteurs et du gouverneur de la ville, un magistrat civil, ce Bruno a été introduit dans la salle de l’Inquisition. Là, à genoux, il a entendu prononcer contre lui la sentence. Celle-ci était la suivante : on a raconté sa vie, ses études et ses opinions, et fait connaître de quelle diligence l’Inquisition avait fait montre en cherchant à le convertir et en l’avertissant fraternellement, quelles obstination et quelle impiété il avait, au contraire, montrées. Ensuite ils le dégradèrent, comme nous disons, ils l’excommunièrent complètement et le livrèrent au bras séculier pour être puni, demandant qu’il fut puni avec la plus grande clémence et sans effusion de sang. Lorsque tout eut été accompli, il ne répondit rien, sinon avec un air menaçant : « Vous portez contre moi une sentence avec peut-être plus de crainte que moi qui la reçois. » Sur ce, il fut ramené par les gardes du gouverneur de la ville à sa prison, où il fut gardé hit jours, pour le cas où, même maintenant, il voudrait révoquer ses erreurs, mais en vain. Aujourd’hui dont il a été mené sur le bûcher et alors que, sur le point de mourir, on lui présentait l’image de Notre Seigneur crucifié, la considérant d’un regard farouche, il la repoussa. C’est ainsi qu’il a misérablement péri brûlé, juste avant de renoncer –du moins je l’espère- aux mondes qu’ils avaient inventés. Et c’est ainsi que finissent, à Rome, les blasphémateurs et les impies. » Ce que l’on reproche à Bruno ce n’est pas tant ses erreurs que son obstination, son refus de reconnaître ses fautes. Faisant cela Bruno se condamne lui-même. Pour l’Eglise le bûcher n’est pas le symbole de son autorité mais de sa défaite, cela signifie qu’elle n’a pas réussi à sauver la personne et son âme. Pour le Saint Office c’est rendre un grand service que de brûler ces personnes car ainsi on évite que les hérétiques continuent de multiplier leurs crimes et on protège les populations les plus faibles qui pourraient être dévoyées par leurs idées.

L’histoire récente nous a assez montré que les idées -et les livres- peuvent être forts dangereuses et aboutir à des destructions terribles de population. Il est de l’obligation des Etats et des autorités légitimes de faire valoir le droit pour éviter leur propagation.

Source : Peter Godman, Histoire secrète de l’inquisition, Perrin, 2007.

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