Hommage à Jacques Marseille

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dimanche 28 mars 2010

Article paru sur le site de Liberté Politique http://www.libertepolitique.com/

Hommage à Jacques Marseille, le 12 mars 2010

Par Jean-Baptiste Noé*

Il est des esprits si lumineux qu’on en oublie qu’ils peuvent s’éteindre ; c’était le cas de Jacques Marseille. Un de nos plus grands historiens, et le meilleur dans sa catégorie. Un historien de l’économie, mais surtout un historien des entreprises et des modes de vie des Français. Mais avant d’être un historien Jacques Marseille était un professeur : il avait la passion de la transmission. Lors d’un cours il demanda à ses étudiants de se définir par un verbe. Après le tour de table où chacun s’exprima il choisit, pour lui, le verbe transmettre, et c’est bien ce verbe qui le définit le mieux. Que ce soit du haut de sa chaire de la Sorbonne, par l’intermédiaire de ses ouvrages, ou bien à travers les multiples émissions télévisées qu’il fréquenta, il s’évertua à transmettre, toujours transmettre, en une langue claire et dans un style très pédagogique.

L’historien des faits

Par nature c’était un anti idéologue. On a dit qu’il était passé par le PC, mais qu’un jeune de vingt ans ait été communiste dans les années 1960, cela n’a rien d’extraordinaire. Ce qui est beaucoup plus intéressant c’est comment il est en sorti. Sa thèse devait montrer –dans la droite ligne de la pensée léniniste- que les puissances européennes s’étaient enrichies grâce à la colonisation, et que le capitalisme européen était fondé sur l’exploitation des peuples brimés. Mais en dépouillant les archives il découvrit exactement l’inverse : la colonisation avait appauvri l’Europe et ruiné son économie. Les faits contredisaient l’idéologie, il quitta donc les idées pour s’en tenir à la réalité, ce que devrait toujours faire l’historien.

C’est ainsi que reprenant la méthodologie de Frédéric Le Play ou de Jean Fourastié il démontra que la France et les Français s’étaient continuellement enrichis en deux siècles, que les prix n’avaient cessé de baisser, que le pouvoir d’achat était en croissance continue. Il lui fallu batailler pour s’opposer aux idées reçues, aux idées toutes faites, et contre les idées imposer les faits. A coup de chiffres et de statistiques il décortiqua la France, il montra le rôle crucial de l’entreprise dans le développement de l’économie, il dévoila les gabegies de l’Etat et l’argent gaspillé. Sa méthode était celle d’un vrai historien : dépouiller les archives, chercher des chiffres, comparer, analyser, puis déduire. Les faits d’abord, les idées ensuite.

L’historien des propositions

Comme il aimait à le rappeler l’histoire n’est pas la science du passé, c’est la compréhension du présent à travers les faits passés. C’est fort de cet axiome qu’il a toujours fondé ses recherches à partir des interrogations du moment. Surtout il s’est intéressé à des domaines complètement délaissés par l’historiographie : le luxe, les modes de consommation des classes moyennes, les causes de la réussite des entreprises, des thèmes iconoclastes au sein d’une université tournée uniquement vers l’étude des pauvres et des mouvements sociaux. Il a ainsi continuellement cherché à réconcilier la réalité avec la perception : comment les Français peuvent-ils être déprimés alors que leur pouvoir d’achat ne cesse d’augmenter ? Comment la France peut-elle se croire en déclin alors que ses entreprises figurent parmi les meilleures du monde et qu’elle possède de très nombreux atouts ? Parce que beaucoup ignorent la réalité et se renferment dans de fausses perceptions.

C’est pour coordonner perception et réalité que dans son avant-dernier ouvrage, L’argent des Français, il proposa deux idées : l’allocation universelle et la flat tax. Ces deux propositions seront-elles reprises un jour par des candidats à l’élection présidentielle ? Rien n’est moins sûr, mais il était si amoureux de son pays qu’il cherchait absolument à éviter la fracture des deux France et à éloigner le spectre de la guerre civile.
Comme tous les grands hommes Jacques Marseille était d’une gaieté imperturbable, en dépit de toutes les attaques, causées par la jalousie, qu’il eut à subir, et d’une humilité constante. Lors de ses cours il avait une grande habileté pour détourner courtoisement la conversation quand un de ses étudiants parlait un peu trop de ses livres ou était trop élogieux avec lui.

Que restera-t-il de Jacques Marseille ? C’est la question que l’on se pose à la mort de chaque homme marquant. Ses travaux sont d’une richesse inépuisable, nous avons encore beaucoup à y prendre. Il a aussi formé des générations d’historiens qui pourront poursuivre ses méthodes et ses champs de recherche. La lumière n’est pas éteinte, elle continue de briller dans le cœur et l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé.

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