Géographie électorale, suite

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mardi 10 juillet 2012

Géographie électorale suite.
Je poursuis ici ma réflexion sur la géographie électorale.

La géographie électorale est une discipline qui avait le vent en poupe dans les années 1960-1970 et qui a été un peu laissée à l’abandon. Il s’agit pourtant de constater que les territoires, régions ou départements, votent majoritairement pour un parti ou pour des idées, et de se demander pourquoi les personnes habitant dans ce territoire votent pour tel parti ou telle idée plutôt que pour une autre. Nous avions vu ainsi que la France est divisée entre une France ouverte, une France des frontières, qui a vécu avec la proximité de la guerre et des invasions, et une France protégée, pour qui cette réalité était beaucoup plus lointaine. Le terme limogé vient ainsi de la ville de Limoges, qui servait de garnison de repos ou de garage pour les officiers. Limoges est une ville située dans la France protégée, quand Metz, Verdun, ou les villes provençales sont sur les lignes de front.

La géographie électorale est aussi une discipline historique puisqu’elle s’attache aux permanences. Ainsi, en Ardèche, on constate que les villages protestants votent à gauche, et les villages catholiques à droite. Si la distinction religieuse a perdu sa pertinence aujourd’hui et n’a plus la vivacité aigüe du XVIe-XVIIe siècle, en revanche les clivages politiques demeurent. Permanence également du midi toulousain, terre radicale, dont on peut faire naître la vocation politique à l’époque de la croisade contre les cathares (XIIe-XIIIe siècle). Même si cet épisode ne fut pas la lutte du Nord contre le Sud, comme certains régionalistes veulent le faire croire, mais une guerre beaucoup plus complexe avec des alliances de part et d’autre, elle a laissé l’impression que le nord capétien avait conquis le sud libre. De cette impression est restée une méfiance vis-à-vis du pouvoir central, et notamment du roi, qui s’est traduit par une adhésion à la république, et ensuite à la gauche et au socialisme.

La géographie électorale cherche donc à répondre à cette question : pour quoi vote-t-on et pourquoi vote-t-on pour ce candidat ou ce parti ?
À cette question il y a plusieurs types de réponses possibles.

Une réponse politique : on vote pour des idées et pour un programme. Dans ce cas le vote ce fait selon des intérêts particuliers : l’électeur choisit le candidat qui répond le mieux à son cas et à ses besoins. S’il est ouvrier il choisira un candidat qui soutient les ouvriers, s’il est chef d’entreprise, un candidat qui soutient les entrepreneurs. La notion d’intérêt général ou collectif est donc extrêmement faible, seul compte l’intérêt particulier et l’égoïsme politique.

Deuxième réponse : une réponse sociologique. On vote par esprit de classe et de corps. De manière schématique on considèrera ainsi que les ouvriers votent à gauche et les chefs d’entreprise à droite. Cette approche a l’avantage de pouvoir adopter un discours de classe, dans lequel il faut désigner un ennemi, qui est l’autre classe et que l’on combat.

Enfin troisième type de réponse, une réponse culturelle. Les individus votent en fonction de leur éducation, de leur tradition familiale, du milieu dans lequel ils vivent. Ainsi pour la droite on se rend compte que la droite de l’Ouest et de l’Est sont très différentes, même si pour une présidentielle elles voteront pour le même candidat. La droite de l’Ouest vit dans le souvenir du génocide vendéen et des guerres de la révolution, elle a une tradition monarchique. Cela ne veut pas dire que toutes ces personnes attendent le retour du roi, mais que l’évocation de la royauté éveille en eux une certaine brume de l’âme.
La droite de l’Est en revanche vit dans le souvenir de Valmy et des combats de l’an II, ainsi que dans la déchirure de la perte de l’Alsace. C’est une droite républicaine, attachée aux idéaux de celle-ci.
De nombreux historiens ont aussi fait remarquer que le vote FN dans le sud était lié à la culture taurine. Vraie ou pas, cette théorie a un certain charme et montre que la culture des régions est au cœur de la formation politique. Et comme nous l’avons déjà dit les régions protestantes votent massivement à gauche, même si les temples sont vides depuis plusieurs décennies. L’esprit du désert et des camisards demeurent, au même titre que les vendéens dans l’Ouest.

Les trois réponses ne sont pas antinomiques et peuvent tout à fait se rejoindre. Mais la géographie électorale a pour elle deux ennemis farouches : la vision sociologique, qui a longtemps été reine et qui repose sur une vision marxiste de l’histoire, et la vision politique, qui voudrait que l’on vote pour un candidat parce que celui-ci a des idées qui nous plaisent. Or on sait très bien que dans certaines régions seule l’étiquette compte pour se faire élire, peu importe le programme défendu par le candidat élu. La géographie culturelle est donc intrinsèquement liée à la culture et à l’histoire, elle se fonde dans la transmission familiale des valeurs partagées. Les études politiques ont montré que seuls 20% des enfants votaient différemment de leurs parents. La vie familiale est donc cruciale pour la transmission des idées politiques. On retrouve ici la notion centrale de mimétique, défendue avec majesté par le philosophe René Girard. La mimétique vaut aussi pour la politique, et le meilleur prédicateur reste l’exemple donné.

De ce constat d’autres questions surgissent. Quelle peut-être alors le rôle d’une campagne électorale dans le domaine de la géographie électorale ? Puisqu’il y a des terres de gauche et des terres de droite, à quoi bon faire campagne et défendre des idées puisque tout est déjà joué ? C’est que l’on distingue ici des régions acquises et des régions volages. Il y a des régions qui ne bougeront pas, quelque soit le candidat. L’Alsace vote ainsi à droite, en dépit de la tendance nationale, et Midi-Pyrénées et le Limousin semblent définitivement acquis à la gauche. Derrière ces blocs régionaux il y a bien évidemment des individus. En démocratie il faut faire 51% des voix pour l’emporter. C’est donc que dans ces régions il y a au moins 51% des électeurs acquis de façon définitive à un parti. Les 49% autre peuvent bien bouger, aller tantôt là tantôt ailleurs, cela ne renverse pas l’équilibre établi. Là où la campagne peut être importante c’est pour les régions volages, c’est-à-dire les territoires où le nombre d’électeurs non-fixes peut créer une majorité d’un côté ou de l’autre selon le candidat derrière lequel il se range majoritairement. S’il y a 60% d’électeurs fixes, composant, par exemple, 40% et 20% pour les partis, les 40% de volages seront déterminant pour faire basculer l’élection. Ces territoires volages sont en définitive assez nombreux. Pour les présidentielles ce sont les départements qui ont voté Sarkozy en 2007 et Hollande en 2012. Là, le combat peut être âpre.

De cela découlent plusieurs stratégies pour le candidat. S’il est dans un territoire fixe il faudra jouer sur la culture politique du pays, sur la filiation et la transmission politique, puisque c’est elle qui détermine le choix final. S’il est dans un territoire volage, la défense d’idées et d’un programme sera plus importante. De même, dans le premier cas le combat se fera essentiellement au niveau du parti, pour obtenir l’étiquette requise pour l’élection, et dans le deuxième le combat sera à mener auprès du peuple.

Ces considérations générales montrent surtout que la démocratie est loin d’être un système politique fondée sur la raison et l’analyse des idées, où le meilleur candidat l’emporterait forcément. S’il a la mauvaise étiquette un très bon candidat sera systématiquement battu. On voit aussi que la notion d’intérêt générale est presque inexistante dans ce jeu, comme l’est la défense d’un programme politique construit et solide. Nous touchons là à une faille du système démocratique et à une imperfection majeure de son fonctionnement : non seulement le meilleur candidat n’a pas l’assurance de gagner, puisque l’élection n’est pas rationnelle, mais en plus une partie plus ou moins grande de l’électorat est systématiquement rejetée. Dans un système majoritaire les minorités n’ont pas leur place. Malheur à ceux qui sont dans le camp d’en face dans un territoire fixe : ils sont condamnés à ne jamais voir leur candidat l’emporter. Cela cause alors de la frustration chez les minoritaires et génère un sentiment de guerre civile permanente lors des élections.
C’est là une des causes structurelles de l’abstention : pourquoi aller voter si on est certain que son candidat soit ne sera pas élu, soit sera élu quoi qu’il arrive ? Alors que la démocratie devrait être le summum du système de représentation du peuple, il n’en est qu’une pâle approche. Dans le système français il y a en plus cette impression du quitte ou double : celui qui gagne, même de peu, a tous les pouvoirs. Que François Hollande ait gagné avec une très faible avance n’a aucune importance pour lui. Une victoire très nette, à la Chirac ou à la Louis-Napoléon Bonaparte, lui aurait donné les mêmes pouvoirs et les mêmes prérogatives. La France de l’autre camp à ainsi la désagréable impression de se faire complètement flouer. La défiance du système démocratique vient de la défiance d’une partie du peuple qui comprend qu’il n’a pas de prise sur son destin politique. La fracture géographique entre la France bleue et la France rose risque ainsi de s’aggraver dans les années à venir, à l’intérieur même de nos territoires.

PS : Je reviendrai au cours de l’année prochaine sur les dangers menaçant la démocratie à travers l’étude de textes d’Alexis de Tocqueville. Ceux-ci sont d’une lucidité étonnante et d’une actualité pertinente pour notre situation.

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