Extraits du dossier Galilée

Vous êtes ici : Accueil > Articles > Extraits du dossier Galilée

vendredi 15 avril 2011

Découvrez ici l’introduction et la conclusion du Dossier Galilée.

Introduction

« Le vin, c’est la lumière du soleil emprisonnée dans l’eau ». Cette belle citation de Galileo Galilée prouve que cet homme savait apprécier les bonnes choses et les définir à leur juste mesure. Pourtant ce n’est pas en tant qu’œnologue que Galilée est resté dans les mémoires, mais pour sa controverse au sujet de la rotation de la Terre. Si l’on demande aux quidams ce qu’évoque pour eux Galilée ils n’évoqueront pas le vin mais l’Inquisition, la torture, la science. Curieuse postérité que celle de cet homme, nul n’a jamais peut-être condensé sur sa personne autant de malentendu que Galilée.

De toutes les attaques lancées contre l’Église l’affaire Galilée est une des plus répandues. Elle condense en effet de nombreux thèmes qui effraient la modernité : opposition entre la foi et la raison, dénonciation de l’obscurantisme, de l’intégrisme de l’Inquisition, puissance et omnipotence de Rome. Galilée est si malléable qu’il est devenu le héraut de l’athéisme, alors même qu’il était sincèrement chrétien. Les images d’Épinal sont pourtant loin de la réalité. Galilée, chargé de chaînes, ployant sous le poids de la torture, gisant dans les geôles humides des tribunaux ecclésiastiques, cédant aux pressions, renonçant à reconnaître le mouvement de la Terre autour du Soleil, enfermé, jusqu’à la fin de ses jours dans une cellule, le tableau est beau mais la scène inventée. De tout cela seul est vrai la brume entourant la réalité. Sur l’opposition systématique de l’Église envers le savant, sur la raison du procès, sur les causes de la condamnation, la vérité se cache et les mythes prennent le relais. Alors, une nouvelle fois, il nous faut ouvrir le dossier Galilée, en présenter les pièces, en mesurer la portée, en soupeser les acteurs et les enjeux, et s’immerger dans un monde qui est vieux de quatre siècles, et qui est bien différent du nôtre. Une nouvelle fois il nous faut rouvrir le dossier Galilée, une nouvelle fois qui ne sera pas la dernière, mais qui espère retirer la poussière du drame et l’éclairer d’une lumière plus pénétrante.

Ce dossier est complexe. Il s’étend sur plusieurs années de la vie du savant, il regroupe les recherches et les avancés de la science au XVIe et XVIIe siècle, ainsi que ses tristes idéologies, il nous fait entrer dans le fonctionnement administratif de l’organisation romaine, dans les dédales de la diplomatie européenne, dans les combats de la science et de la foi d’une part, et les idéologies dominantes de l’époque d’autre part. Autant dire que ce dossier mérite que l’on pèse des œufs de mouches sur des toiles d’araignées , et non pas de l’ignorance sur des draps de bêtise. Pour comprendre Galilée il faut prendre en considération plusieurs paramètres et non pas se réduire à une affaire d’inquisition. Il faut d’abord avoir à l’esprit le cadre scientifique du temps -celui du XVIIe siècle-, le contexte politique, le fonctionnement de Rome, toutes choses que les contempteurs de l’Église se gardent bien de voir. Si Galilée est un symbole, c’est celui de la petitesse des hommes et de leur mesquinerie. L’anecdote de Brillat-Savarin sur la querelle du bordeaux et du bourgogne est connue :

« Monsieur le Conseiller, disait un jour, d’un bout d’une table à l’autre, une vieille marquise du faubourg Saint-Germain, lequel préférez-vous du bourgogne ou du bordeaux ?
 Madame, répondit d’une voix druidique le magistrat ainsi interrogé, c’est un procès dont j’ai tant de plaisir à visiter les pièces que j’ajourne toujours à huitaine la prononciation de l’arrêt . »

A l’image de ce Conseiller débonnaire ne cessons pas de parcourir les pièces du dossier Galilée pour tenter d’en démêler les inextricables fils.

Conclusion

L’affaire Galilée n’en est pas une, et le procès n’est pas le réquisitoire de l’Inquisition contre la science, de l’obscurantisme contre la liberté. Le mythe Galilée est né au XVIIIe siècle, dans les articles de l’Encyclopédie, où l’Église a toujours fait figure de coupable idéal. Puis il est repris et amplifié par les positivistes et les scientistes du XIXe siècle ; enfin la rumeur et la haine de l’Église ont fait le reste pour l’ancrer dans les consciences et faire passer des mensonges pour véridiques. Heureusement les archives sont là pour témoigner de la réalité des faits et pour restaurer la vérité, quand on veut bien prendre la peine de les consulter, vérité au nom de laquelle les positivistes ont attaqué l’Église mais qu’ils se sont bien gardés de mettre à jour.

Ce n’est qu’en 1727 que l’astronome anglais James Bradley découvre le phénomène de l’aberration, or c’est cette découverte, conjuguée aux observations de la parallaxe annuelle, qui permet de comprendre la rotation de la Terre car elles apportent des preuves optiques à l’orbitation de cette planète. Une fois ces découvertes reconnues et validées par les autres scientifiques, le pape Benoît XIV autorise la publication des œuvres complètes de Galilée en 1741.
Les ouvrages de Galilée n’ont d’ailleurs pas une grande portée scientifique, tant il s’est souvent trompé dans ses jugements et ses interprétations. Il pense ainsi que la Terre tourne sans atmosphère, qu’elle va à travers l’air, et l’on a vu qu’il a attribué l’existence des marées à la rotation terrestre, alors même que l’on disposait de toutes les preuves pour lui prouver qu’il se trompait. Si Galilée a eu raison ses adversaires n’ont pas eu tort, et face à l’Inquisition il a adopté une attitude incohérente et pleine de mauvaise soi ; ce qui ne pouvait qu’exacerber ses juges. Finalement, qu’est-ce que Galilée a apporté à la science ? Laissons ici la plume à Arthur Koestler, qui le dit très bien :

« Dans la mythographie rationaliste Galilée devient la Pucelle d’Orléans de la Science, le saint Georges qui terrasse le dragon de l’Inquisition. Il n’est donc guère surprenant que la gloire de cet homme de génie repose surtout sur des découvertes qu’il n’a jamais faites, et sur des exploits qu’il n’a jamais accomplis. Contrairement aux affirmations de nombreux manuels, même récents, d’histoire des sciences, Galilée n’a pas inventé le télescope. Ni le microscope. Ni le thermomètre. Ni l’horloge à balancier. Il n’a pas découvert la loi d’inertie, ni le parallélogramme de forces ou de mouvement, ni les taches du soleil. Il n’a apporté aucune contribution à l’astronomie théorique, il n’a pas laissé tomber de poids du haut de la tour de Pise, et il n’a pas démontré la vérité du système de Copernic. Il n’a pas été torturé par l’Inquisition, il n’a point langui dans ses cachots, il n’a pas dit epur si muove, il n’a pas été un martyr de la Science . »

En 1981 le Centre National d’Etudes Spatiales a réalisé un sondage où il a demandé aux Français s’ils pensaient que le Soleil tourne autour de la Terre. 37% des personnes interrogées ont répondu ″oui″, preuve que l’héliocentrisme n’était pas encore partagé par tous.

Que reste-t-il donc du dossier Galilée après l’étude des pièces et du contexte ? Au final pas grand-chose. Nous voyons que le procès de 1633 est insignifiant et sans peu d’intérêt. Ce n’est rien d’autre qu’une mesure disciplinaire, qui s’est conclue à l’amiable, dans les salons de l’inquisiteur, entre Macculano et Galilée. Le Florentin a ensuite pu retourner chez lui et vivre tranquillement dans sa villa florentine. Lui-même serait probablement le premier surpris de découvrir l’écho qui a été fait à sa mésaventure de 1633 dans les siècles qui ont suivi. Ce qui est en revanche fort intéressant c’est l’inflexion donnée à la science à l’époque de Galilée. C’est à ce moment là que l’unité scientifique se brise, que la science est réduite aux mathématiques, rejetant les autres disciplines, qu’elle se coupe de la loi naturelle, perdant tout sens de l’éthique. De cela nous ne sommes pas encore sortis et nous payons quotidiennement les conséquences. Une autre conséquence du mythe Galilée est de croire que la science serait née au XVIe siècle, à l’époque dite moderne, et qu’avant il n’y aurait qu’une préhistoire de la science, avec des hommes asservis par les mythes et par la nature. Tout historien des sciences ne peut que démentir cela.

« La physique ancienne et médiévale est parfaitement scientifique ; il n’y a aucune « émergence » de la science à la Renaissance ou au XVIIe siècle, qui réduirait les connaissances antérieures à une prétendue « préhistoire » de la science.
Par contre, durant la période allant du XIVe au XVIIe siècle, se produit une rupture radicale dans les conceptions philosophiques occidentales. Elle consiste en particulier en une confusion entre l’ordre de la nature des choses qui nous sont extérieures, et l’ordre de la connaissance qui est dans notre intelligence.
Les idéologies qui en résultent s’opposent au réalisme, qui consiste pour sa part à reconnaître que les choses s’imposent à nous avec leurs propres caractéristiques. Cette rupture a souvent rendu difficilement compréhensible le génie des époques antérieures pour les esprits modernes.
Cette rupture n’est pas un progrès : au contraire, elle fait subir à la réflexion scientifique l’influence des idéologies. Les paradoxes scientifiques qui explosent au XVIIe siècle ou au XXe siècle en sont la conséquence, et la science continue à souffrir de l’obscurcissement du réalisme.
Les remarquables découvertes scientifiques modernes ne se sont pas faites grâce à cette rupture, mais elles se sont faites et continuent à se faire malgré elle . »

Une des conséquences de cette rupture est notamment de croire que la raison serait née avec la Renaissance et donc que toutes les découvertes scientifiques se seraient faites à partir de ce moment. Le formidable essor technique des dernières décennies ne doit pas faire oublier que les siècles antérieurs ont eux aussi été le théâtre de grandes découvertes. La raison existe depuis les débuts de la civilisation occidentale.

« Les anciens Grecs distinguaient le muthos et le logos. Dans notre culture, nous traduisons muthos par mythe, et le mythe c’est quelque chose qui n’existe pas. Au contraire, dans la pensée grecque, le logos c’est l’explication rationnelle, le muthos, c’est l’expression de la réalité qui ne se réduit pas au rationnel. La foi n’est pas rationnelle, mais elle est raisonnable . »

La science n’est donc pas née d’une émancipation de la foi, elle s’est au contraire développée en s’appuyant sur elle et en vivant une réelle harmonie avec elle ; harmonie qui a été brisée avec l’affaire Galilée.

En somme, Galilée n’a pas été grand-chose, sinon un mythe scientiste. Toutefois, le dossier Galilée oblige le scientifique à l’humilité sur les rapports entre la foi et la science, et sur l’usage qu’il peut faire de ses connaissances et de ses facultés rationnelles. Car les opposants et les partisans de Galilée ont cru la même chose : ils ont cru que la science allait détruire la foi. Alors, certains hommes d’Église ont voulu cacher la science pour sauver la foi, et certains hommes de sciences ont voulu la développer pour abattre la foi. Mais ce que montrent Copernic, Bellarmin, Urbain VIII, Galilée lui-même, et après eux Jean-Paul II, c’est qu’il n’y a pas d’opposition entre la science et la foi, mais qu’au contraire, les deux sont liées et ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre. C’est pourquoi, en dépit de la férocité des attaques et de l’énormité des mensonges, la Terre tourne autour du Soleil, Galilée dort tranquillement dans sa tombe, et l’Église est toujours là.

Par Thèmes