Edward Hopper, un Américain à Paris

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jeudi 25 octobre 2012

On aime l’Amérique pour la vitesse, pour les grands espaces, pour le mouvement, pour la modernité. On aime l’Amérique pour son cinéma intrépide, pour ses gratte-ciel immenses, pour ses frontières repoussées. On aime l’Amérique pour son aspect indestructible, pour sa force immanente, pour sa gloire autocélébrée. Edward Hopper, pourtant archétype idéal de l’Américain, n’est rien de cela. Ses tableaux sont immobiles. Ses personnages sont tristes, mélancoliques, presque suicidaires. Ils sont seuls. L’espace est cloisonné, étouffant et oppressant. La lumière est blafarde, mortuaire. Les belles maisons font peur, évoquant plus Hitchcock que Gatsby le magnifique. Le rêve américain semble devenu un cauchemar. Chez les noctambules, Casablanca le cède à Fenêtre sur cour.

Les tableaux de Hopper n’ont rien de l’Amérique que l’on aime.

Et pourtant, on aime Hopper, et on salue, enfin, la rétrospective organisée par le Grand Palais. Lui, le peintre de l’immobile, voilà qu’il nous fallait courir à travers toute l’Amérique pour admirer ses toiles. Lui, le peintre des vitres et des contre-regards, voilà que nous étions réduits aux petits formats reproduits dans les livres et les catalogues. Pouvoir enfin voir Hopper, en grand, en vrai, et chez lui, ou presque, à Paris. Pouvoir enfin voir la vraie lumière, cette lumière architecturale qu’Hopper a essayé de capter et de peindre. Ne plus avoir à se contenter des ombres planes de reproductions. Pourquoi aime-t-on Hopper, alors que son Amérique est si différente de la nôtre ?

C’est peut-être pour son côté européen, son aspect new-yorkais, et New York est encore le dernier appendice de l’Europe. À Cap Code, on regarder vers l’Est, c’est-à-dire vers chez nous. Hopper, c’est un esprit d’Europe qui s’infiltre dans une Amérique grandissante. La rétrospective du Grand Palais cherche à montrer comment Paris a influencé le jeune peintre, au cours de ses trois voyages (1906, 1909, 1910), et comment cette influence se retrouve dans ses toiles de la maturité. Cette mélancolie, cette immensité retenue, cette solitude des théâtres, des bureaux, des chambres d’hôtel et des stations-services, c’est un peu de la mélancolie fin de siècle, une teinte de Stefan Zweig et d’ironie cruelle à la Oscar Wilde, qui imprègnent ses tableaux.

Hopper nous rappelle aussi l’Amérique que l’on a aimée. Celle des années 30, des grosses voitures, mêmes si les voitures sont absentes de son œuvre, celle de l’après-guerre, même si ses toiles furent peintes avant, celle du triomphe et de l’optimisme, même si les ambiances sont ternes et pesantes.
Hopper nous rappelle le vieux cinéma américain, et pourtant il n’y a aucun western, aucun gangster, aucune chevauchée. Il nous rappelle l’Amérique insouciante, et pourtant il nous parle de la dépression. On aime Hopper pour des raisons qui ne sont peut-être pas justes. Mais on l’aime, et le public s’amasse. Avec Hopper, on a enfin l’impression que l’Amérique nous est accessible, compréhensible et mesurable. Cette Amérique, c’est celle du passé, plus proche du voyage de Tintin que de la Californie hispanique. C’est l’Amérique que l’on comprend, et qui n’existe plus. On est loin, dans ses paysages, de Google et d’Amazon. On aime l’Amérique devenue une histoire, et on aime Hopper qui nous raconte cette histoire. On aime quelque chose qui a disparu, et on aime ce quelqu’un qui nous restitue la disparition. Hopper au Grand Palais, c’est un souvenir, une nostalgie, et c’est d’actualité.

Publié dans Tak.

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