Éduquer au vin

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vendredi 3 septembre 2010

Le phénomène de l’alcoolisme est hélas de plus en plus répandu chez les 15-25 ans. Cette dépendance à l’alcool peut avoir des raisons variées : accoutumance lors des soirées festives ou des soirées étudiantes, mode de vie du samedi soir qui dérive vers le binge drinking, boire le plus vite possible pour devenir saoul très rapidement. Ne nous leurrons pas, ces comportement font des ravages, provoquent des dépendances funestes à l’alcool, et sont cause de décès ou de vie brisée. Comment éviter cela ? En prohibant l’alcool ? Non, disons-le d’emblée et de façon claire, la prohibition est le meilleur allié de l’alcoolisme. La prohibition est une réponse juridique à un mal qui est d’abord moral : la déviance des comportements et un mauvais usage de la liberté. Ce n’est donc qu’en agissant sur les comportements qu’il est possible de réduire la dépendance à l’alcool, et agir sur les comportements cela signifie éduquer. Notre volonté est donc, dans cet article, d’énoncer quelques principes d’éducation à l’alcool, sans vouloir prétendre à l’exhaustivité.

Que l’on me permette quelques mentions autobiographiques : ayant été élevé dans un milieu de vignerons où l’amour du vin était présent au sein de la famille, j’ai dû boire ma première gorgée de vin vers l’âge de deux ans. Cela pourra peut-être choquer quelques abstèmes, mais que l’on se rassure : je n’ai jamais connu ni cuite ni saoulerie. En revanche ce comportement responsable de mes parents m’a permis de devenir œnologue. Les principes mentionnés ci-dessous sont donc tous inspirés de l’expérience, que ce soit de ma propre éducation, ou de ce que j’ai pu réaliser ensuite dans mon travail.

Commençons par le début. Si nous buvons des boissons alcoolisées c’est d’abord pour le plaisir qu’elles nous procurent. Le goût est bon, la sensation est agréable, la légère euphorie qui advient n’est pas non plus à rejeter. Interdire le plaisir serait donc absurde. Ensuite quand nous parlons d’alcool de quoi parlons-nous exactement ? On ne peut mettre sur le même plan du cidre, de la bière, du vin, de la vodka et du whisky. Toutes sont des boissons alcoolisées, mais pas au même point. Les beuveries lycéennes et étudiantes se font toujours avec du mauvais alcool. Si de la bière est consommée, ce n’est pas de la Chimay c’est de la Desperados, si c’est de la vodka ce n’est pas de la Grey House ou de la Zubrowka, c’est une vodka de bas étage, si c’est au whisky ce n’est pas au Johnnie Walker quinze ans d’âge, mais au J&B, et d’une façon générale ce n’est pratiquement jamais au vin. De cette observation que pouvons-nous en conclure ? Les boissons consommées sont des boissons de mauvaises qualité, au goût fade et sans relief, au goût d’ailleurs fabriqué par les groupes industriels pour plaire à ces palais immatures. Ce qui est recherché c’est l’alcool, pour ses effets, et le sucre, pour le plaisir du palais. D’où le succès dangereux des premix et des cocktails : un whisky coca est buvable par une personne de 15-25 ans, il est idéal pour un palais non éduqué, le Johnnie Walker évoqué plus haut, non, ses arômes de tourbe et ses notes de cuir ne provoquent que le dégoût, et il est aussitôt recraché.

Si nous savons comment ils boivent, regardons comment ils mangent : produits préparés hyper-sucrés, telles les pizzas et quiches industrielles, jus de fruit abondants, yaourts et gâteaux, voilà ce qui compose essentiellement leurs menus. S’ils mangent mal en termes de qualité, ils mangent mal aussi sur le plan du comportement : les repas ne sont pas pris à heure fixe, la prise de nourriture se fait de façon compulsive et sans retenue, ils mangent jusqu’à plus faim, sans savoir se limiter ou se rationner. Or entre les deux le rapport est flagrant : le comportement qu’ils ont avec l’alcool est identique à celui qu’ils ont avec la nourriture. Cette réalité confirme le fait que l’alcoolisme juvénile est d’abord un problème moral et non pas législatif.

Par rapport à cela que pouvons-nous faire ? D’abord se souvenir que toute éducation est avant tout mimétique, c’est-à-dire que les enfants reproduisent ce qu’ils voient chez leurs parents. Des parents qui ont un comportement responsable vis-à-vis de l’alcool ont plus de chance d’avoir des enfants responsables que les autres. Ensuite axer l’éducation sur deux piliers forts : la responsabilisation et la force d’âme.

Responsabiliser, c’est instruire sur les effets de l’alcool, les effets négatifs et aussi les effets positifs. Il ne sert à rien de moraliser en ne parlant que de ce qui est mauvais, cela incite les adolescents plus que cela ne les dissuade. Il est bon aussi d’évoquer avec eux la stratégie des firmes qui vendent les produits qu’ils consomment, leur dire que leur but n’est pas leur santé mais l’argent qu’ils dépensent, et que les produits fabriqués sont fait exprès pour eux, pour qu’ils les achètent et qu’ils en consomment en grande quantité. Leur montrer qu’ils sont le jouet de ces firmes, qui les considèrent comme des objets de consommation, peut être un bon moyen de les éveiller aux réalités, et de leur faire perdre une naïveté qui leur nuit.
Responsabiliser c’est aussi éduquer à la saine consommation de l’alcool. Disons le tout net, il est stupide de fixer une limite d’âge à partir de laquelle l’adolescent pourra boire. Pourquoi a-t-on le droit de boire à 18 ans et pas à 17 ans et demi ? Quel changement s’est produit pour d’un coup autoriser ce qui était jusqu’à présent interdit ? Cette attitude prouve une certaine irresponsabilité parentale : soit l’enfant boit avant de l’alcool en cachette, notamment lors des soirées, soit il se lâche le jour de ses 18 ans, et comme il n’est pas du tout préparé les effets sont ravageurs.
Il est bon, au contraire, de faire boire une gorgée à l’enfant de quatre ou cinq ans, de lui faire « tremper les lèvres », dans le cadre du cercle familial, d’abord pour l’amener petit à petit à apprécier ce produit, et ensuite pour lui montrer qu’il est lié à la fête, au plaisir. Quand il est plus âgé, un verre de vin, une coupe de champagne, lors des repas de famille, à Noël, lors d’un anniversaire, est un excellent moyen de l’instruire. De même une bière servie lors d’un apéritif ou lors des vacances. Mieux vaut que l’enfant fasse ses expériences avec ses parents, que seul ou avec ses amis. Surtout, il est important de leur faire boire de bons produits, et un bon vin n’est pas nécessairement un vin cher. Si l’enfant a été éduqué à manger de bons produits, que ce soit dans son alimentation ou bien dans sa boisson, il n’ira pas vers les produits de mauvaise qualité, son palais éduqué et délicat rechignera aux alcools de bas étage pour se tourner vers les alcools fins. Et il est en la matière une règle universelle : on consomme en moins grande quantité ce qui est bon que ce qui est mauvais.

Il m’arrive régulièrement d’organiser des dégustations de vins pour des lycéens. Je suis toujours surpris par l’intérêt qu’ils portent à ce produit, l’intérêt qu’ils ont à connaître son histoire, ses modes de fabrication, la multitude des goûts qu’on y trouve. Bien souvent ils montrent plus de soin que les adultes à observer la robe et à humer le nez, ils ont une soif de savoir qui est touchante. Lors de ces dégustations ils apprennent à avoir du plaisir en buvant peu, ils apprennent à distinguer les arômes des blancs et des rouges, à voir que tous les vins sont différents et qu’ils ne se valent pas. Ils ont aussi le sentiment d’entrer dans le cercle restreint des amateurs cultivés. Le vin est un produit éminemment culturel, consubstantiel à notre civilisation et à notre culture. On pourrait même dire qu’il fait partie des racines de l’Europe. En dégustant des vins ces lycéens ont conscience de s’éduquer et de s’élever, d’entrer dans une certaine aristocratie élitiste ; et cela est très bon, car ce sentiment développe en eux la force d’âme.

La force d’âme c’est être pleinement homme. Il est absolument nécessaire de casser l’idée que celui qui boit c’est celui qui est un homme. Non ! Disons le nettement à ces adolescents et à ces étudiants, celui qui se saoule est une bête. Celui qui boit trois ou quatre verres d’affilée pour se détruire est une bête, sans volonté, sans liberté, et sans force. La force consiste à dire non, elle consiste à ne pas aller dans certaines soirées, elle consiste à rompre certaines relations. Le jeune qui sait faire cela est vraiment un homme. La force d’âme permet à ces jeunes de développer leur volonté, et partant d’amplifier leur liberté. Cela s’apprend à table dès le plus jeune âge. Où est la force d’âme chez un enfant de quatre ans qui est incapable de savoir s’arrêter de manger et qui se sert du gâteau à profusion ? De même avoir des heures de repas fixes, s’y tenir, et ne pas manger en dehors, est excellent pour développer la volonté. Cet exercice est d’ailleurs très utile dans des domaines variés, comme dans le travail. La force d’âme c’est aussi savoir boire peu, en apprenant à apprécier le goût. Il n’est pas toujours facile pour l’œnologue de recracher certains vins délicieux et chers. Mais quand on en goûte plusieurs dizaines par jour, si c’est une mortification que de cracher, c’est aussi absolument nécessaire pour rester frais. C’est pour cela qu’il est bon de leur faire boire un verre de vin lors des repas de fête. Ils apprendront d’abord à ne boire qu’à ces occasions, et ensuite à trouver le plaisir dans un verre et non pas dans plusieurs.

Consommer avec modération oui, mais consommer surtout avec éducation. Les plus forts taux d’alcoolisme sont enregistrés en France dans les régions où la vigne est absente : Bretagne et Nord Pas de Calais. Dans le Bordelais, en Bourgogne, dans le Jura, là où la vigne fait partie de la culture régionale et familiale, on apprend à boire, et cela protège nos jeunes. Consommer avec éducation donc, pour que le vin soit une école de la culture, de la liberté, et du plaisir.

Article publié dans la revue Cantate www.revue-cantate.fr

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