Donoso Cortès dans le texte

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lundi 9 septembre 2013

Sur les marchés, depuis quelques années, la mode est aux légumes oubliés. Mais il est, dans la littérature européenne, des auteurs qui sont l’équivalent de nos crosnes et de nos panais savoureux, ce sont, eux-aussi, des auteurs oubliés. Parmi eux figure Juan Donoso Cortès, marquis de Valdegamas, né en 1809 et mort en 1853, qui fut ambassadeur d’Espagne à Berlin et à Paris, et secrétaire de la reine Isabelle II.

Le Cerf publie une anthologie des textes donosiens, sous le titre de Théologie de l’histoire et crise de civilisation. Cette anthologie est composée de discours, dont le fameux discours sur la dictature, de 1849, dont Carl Schmitt disait qu’il était l’un des plus beaux textes de la littérature européenne, mais aussi d’extraits de sa correspondance et de sa production journalistique. On a aujourd’hui oublié le grand succès européen de Donoso Cortès. Cet homme profondément espagnol, attaché à son pays et à la défense de ses traditions, fut aussi un grand européen, qui a beaucoup voyagé, de par ses responsabilités diplomatiques, et qui a donc connu la plupart des intellectuels de son temps. Ses discours prononcé à la Chambre, lorsqu’il était député ou membre du gouvernement, furent traduit en français et en anglais et donc diffusés dans ces pays. La pensée donosienne a irrigué de nombreux penseurs. Mais l’auteur est aujourd’hui rejeté, mis au rebut, parce que trop attaché à une conception métaphysique du pouvoir politique, trop défenseur d’un ordre qui paraît ancien et dépassé.

C’est là qu’est précieuse la longue présentation de l’œuvre de Donoso Cortès, proposée par Arnaud Imatz. Ce spécialiste de Donoso Cortès montre comment notre auteur a d’abord été un fougueux libéral, avant de se rétracter et de venir à une conception traditionnaliste du pouvoir. L’introduction d’Arnaud Imatz est utile pour comprendre le contexte politique et intellectuel de cette Espagne et de cette Europe d’après la Révolution française, qui oscille entre socialisme, libéralisme et conservatisme. Dans cette Europe qui a renversé les anciennes valeurs, sans s’en donner de nouvelles, et qui hésite constamment entre l’ordre et la révolution, cette Europe elle-aussi méconnue et oubliée, qui produit des générations de révolutionnaires, jusqu’à la génération de 1848 qui, au tournant du XIXe siècle, a donné une nouvelle impulsion à la pensée politique.

Les discours comme les articles de Donoso Cortès sont d’une grande profondeur. Peu importe que l’on partage ses vues politiques, l’auteur est essentiel pour entrer dans le schéma mental des Européens du siècle des révolutions. A la grande rigueur intellectuelle se joint une grande profondeur culturelle, et une argumentation saillante et approfondie. Donoso Cortès sait frapper ses adversaires avec la structure de sa pensée, avec la force de ses arguments inébranlables. Son œuvre magistrale est finalement assez courte, car il est mort jeune (45 ans), mais sa pensée était déjà solidifiée.

Sa réflexion porte sur l’essence et l’origine du pouvoir politique, comme sur le sens des révolutions. Dans son discours sur la dictature, il démontre comment les révolutions ne sont pas le fait des pauvres et des affamés, mais des bourgeois qui les instrumentisent pour renverser un ordre et en établir un autre qui leur soit favorable. Attaché à la notion du sens de l’Etat et à la souveraineté, il a influencé de nombreux penseurs européens.

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