Don Juan d’Autriche

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lundi 11 février 2013

Don Juan d’Autriche

« Valeureux comme Scipion, héroïque comme Pompée, fortuné comme Auguste, un nouveau Moïse, un nouveau Gédéon, Samson et David, mais sans leurs défauts ». Quand Don Juan d’Autriche, fils naturel de Charles Quint, meurt le 1er octobre 1578, alors qu’il n’a pas 33 ans, il laisse bien plus que des regrets. Ces quelques mots du pape Grégoire XIII en effet ne sont pas usurpés.

Le 7 octobre 1571 il est à la tête de la flotte de la Sainte Ligue alors qu’il a à peine 24 ans. Don Juan est un homme qui éclaire de son génie le Siècle d’Or espagnol. L’Espagne est à l’époque un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais, dirigé par Charles Quint puis Philippe II. S’il n’a jamais été au devant de la scène sa vie n’en demeure pas moins passionnante et foisonnante. C’est un bâtard, ce qui explique qu’il ne soit pas au premier rang, mais son père Charles Quint, avait beaucoup d’affection pour lui.

L’Empire de Charles Quint couvre toute la terre : il est issu de l’héritage de l’Empire par son grand-père Maximilien, de l’héritage de l’Aragon et de la Castille par ses grands-parents, et de l’héritage des Pays-Bas par sa grand-mère, Marie de Bourgogne. En 1566 Charles Quint laisse la couronne d’Espagne à son fils Philippe et se retire dans un couvent. Lui qui est né aux Pays-Bas et qui est arrivé en Espagne sur le tard il veut faire de Philippe et de Juan des Espagnols en les ancrant fortement en Castille et en Aragon.

Mais Don Juan ne se réduit pas à Lépante. Né en 1545 à Ratisbonne il est appelé Geronimo dans sa jeunesse en raison de la passion de son père pour Saint Jérôme. N’étant pas légitime il est confié à des mères nourricières qui ne connaissent pas l’origine de sa naissance. C’est elles qui l’instruisent, qui lui donne des valeurs religieuses. A 10 ans il peut devenir un page, mais son existence est révélée et il devient Don Juan.

Charles Quint revient en Espagne pour achever sa fin. A Yuste il rencontre Don Carlos son petit-fils. Cet enfant subi la lourde hérédité des mariages consanguins, et il est largement débile, or il doit devenir roi. Charles Quint est marqué et craint pour la couronne. Il se souvient alors de son autre fils et veut le revoir. Geronimo passe deux mois auprès de l’Empereur sans savoir qu’il est son père. Il le recommande à Philippe II dans son testament pour qu’il en fasse un évêque. Il ne faut pas qu’il soit un risque pour la couronne. En 1559 Philippe II rencontre Geronimo et lui annonce qu’il son frère. C’est un choc pour lui. Il est arraché à sa famille et entre à la cour où il devient un petit prince. Philippe II voit que son fils est incapable de régner et il voit ce demi-frère qui est plein de santé, mais il ne lui fait aucun reproche. En revanche la question de l’héritage est posée si Philippe II n’a pas d’autres enfants d’autant qu’en 1568 Don Carlos décède. Philippe II n’a plus de fils et sa troisième femme vient de mourir. La question se pose de la succession même si le bâtard n’a aucun droit. Il essaye toutefois de l’éloigner de la cour sans que son talent puisse se développer.

Don Juan est un défenseur de l’Espagne catholique. Il possède un caractère très agréable, il est beau et aimable, gracieux de corps et élégant. Il s’habille de couleurs vives ce qui tranche avec la soie noire de la cour d’Espagne. C’est un homme de guerre aux grandes qualités physiques. Philippe lui donne le commandement de l’armée espagnole pour lutter contre les maurisques, cela permet de l’éloigner de la cour.

Les maurisques sont en Andalousie, ce sont les descendants des musulmans vaincus par Isabelle en 1492. Ils ont été convertis au catholicisme mais ils ont conservé leur langue, leurs usages, leurs coutumes, leurs villages. Ils ne sont pas du tout Espagnols, c’est une enclave dans le royaume. Philippe II lutte contre les luthériens et les maurisques récalcitrants. Il prend des mesures dures contre eux pour les intégrer dans l’Espagne, mais ils refusent l’intégration et se révoltent. Or le pays est montagneux et escarpés, les villages sont fortifiés, et le risque est grand qu’ils soient soutenus par les Africains du nord et les Ottomans qui peuvent arriver en Espagne via la côte. C’est un danger interne et externe pour la vieille Espagne. Philippe II ne peut rester sans rien faire, il doit lutter contre eux, il combat pour l’unité de la foi et l’unité de l’Espagne. Mais les maurisques sont de redoutables combattants, ce qui fait que la guerre se fait avec beaucoup de massacres de part et d’autres. Finalement les maurisques sont expulsés d’Andalousie et répartis en Espagne pour éviter leur concentration, puis sous Philippe III ils sont expulsés d’Espagne.

Dans la géopolitique du temps l’Espagne a une frontière commune avec l’Empire Ottoman, c’est la mer ; il y a la Méditerranée ottomane et la Méditerranée espagnole. Les deux Etats se rencontrent. Or la pression ottomane est très forte, ils progressent dans les Balkans, en Europe et en Méditerranée. En 1522 Rhodes tombe entre leurs mains. En 1569 c’est Chypre. La flotte ottomane se répandant en Méditerranée, Pie V essaye de mettre en place une riposte catholique.

Venise est la puissance tampon entre l’Espagne et les Ottomans mais elle perd toutes ses possessions et recule. Elle négocie pour maintenir son empire commercial à défaut d’empire territorial, mais elle ne peut plus s‘opposer seule à l’avancée ottomane. Il devient nécessaire de prendre des mesures fortes.

La bataille de Lépante (1571) est à la fois religieuse, politique et économique. Elle est perçue comme une grande victoire religieuse par les contemporains.

Pie V est l’initiateur de la Sainte Ligue, il a tenté une croisade mais elle n’a pas réussi. Venise est favorable à la Ligue parce qu’elle se sent attaquée sur mer, l’Espagne met du temps à répondre parce que le gouvernement est occupée par l’affaire des maurisques, finalement elle répond favorablement en 1571, elle apporte sa flotte et un chef : don Juan. Don Juan est amiral, il s’occupe des galères. Philippe II lui a donné la mer car cela l’éloigne de l’Espagne, il va en Sicile ou à Naples donc loin de Madrid. Il a toutefois montré qu’il était un bon guerrier, à cette époque les jeunes nobles sont d’abord des guerriers et des hommes d’armes.

Les galères ne se battent jamais loin de la terre, elles restent près des côtes, pas en haute mer. Les soldats présents sont des fantassins, les fameux tercios, de même pour les chevaliers de Malte ou ceux de Rome. En revanche il n’y a pas de Français parce que François 1er s’est allié avec les Turcs.

Les combattants de la Ligue sont des hommes de terre : des cavaliers et des fantassins. De même pour les Turcs avec les janissaires. Il n’y a que les marins qui soient des hommes de mer, et les marins rament ou manœuvrent les galères mais ils ne se battent pas, si bien que Lépante est en fait une bataille terrestre sur mer.

Lépante est la dernière grande bataille de la marine à rame, la plus grande bataille maritime de la Méditerranée jusqu’à aujourd’hui. Lépante est aujourd’hui Ménopacte, au nord du golfe de Patras. Le golfe est fermé par des îles, nous sommes proche d’Itaque, c’est un petit espace fermé. Les Ottomans ont pris position dans le golfe. Don Juan vient de Sicile et descend le long de la Grèce, il bloque les Ottomans et les oblige à combattre.

Au nord se trouve les Vénitiens, au centre don Juan, au sud les Génois. Il a un corps de réserve derrière. Les Ottomans ont aussi trois corps, c’est Ali Pacha, le gendre du sultan, qui commande.

Don Juan est l’artisan de la bataille, il dégage l’avant des galères pour ouvrir le feu de l’artillerie. Il possède six gros bateaux chargés d’artillerie, ce sont des fortins avancés pour bombarder l’ennemi. Les Ottomans attaquent les premiers, ils sont sous le feu des galéas et sont désorganisés. Le corps à corps a lieu, les galères se bloquent avec les rames. Il y a trois phases dans la bataille mais en réalité tout à lieu en même temps. Au centre don Juan affronte Ali Pacha. La bataille est gagnée par les Espagnols. L’infanterie espagnole est meilleure que la turque, en plus l’Espagne a le feu, pas les Turcs, et les tercios sont de bien meilleurs combattants que les janissaires.

Lépante est une bataille d’anéantissement, il faut gagner et détruire l’adversaire, ce qui est très différent des batailles du Moyen-âge. Il y a en plus une donnée religieuse, ce sont des infidèles, donc il faut les détruire. La bataille fait environ 30 000 morts chez les Ottomans, soit presque la totalité des troupes amenées par les Turcs. L’Espagne a 8000 morts. Les rameurs étant des chrétiens ils sont libérés par les Espagnols. Cela a joué aussi, les rameurs sont des esclaves chrétiens aux mains des Turcs, ils n’ont pas envie de combattre pour les Turcs car la victoire signifie la poursuite de leur asservissement alors qu’une défaite est pour eux une libération. Les rameurs ont été la troisième colonne de la Sainte Ligue. En plus des morts la flotte turque est détruite, ce qui bloque l’avancée ottomane en Méditerranée, mais cela n’achève pas la puissance ottomane, les Turcs sont toujours très forts sur terre.

Durant la bataille l’ardeur religieuse est plus du côté des catholiques que des ottomans. Pie V attribue la victoire à la Vierge qui est présente sur l’étendard de don Juan, il demande alors, suite à cette bataille, que chaque chrétien récite le chapelet en mémoire des combats. Don Juan a aussi un crucifix qu’il a sauvé des Ottomans, cet épisode contribue à fortifier sa légende.

La victoire de la Chrétienté est perçue comme la victoire de l’Europe, don Juan est le héros de l’Europe, de toute la Chrétienté, à un moment où elle est déchirée entre luthériens et catholiques. Les Turcs ont permis ce moment d’unité.

Une fois vainqueur Philippe II éloigne de nouveau don Juan de la cour, non pas qu’il soit un prétendant au trône, le monarque s’est remarié et a eu des fils, mais étant brillant et auréolé de gloire il est jugé plus prudent de le maintenir à distance de l’Escorial. Ainsi entre 1571 et 1577 il vit en Sicile et à Naples. Il est un peu désœuvré et pense alors à se tailler un royaume en Albanie, en Grèce ou en Afrique. Il se montre intéressé par la couronne de Pologne, celle d’Angleterre, (il peut se marier avec Elisabeth) mais ses rêves princiers n’aboutissent pas, il se laisse aller à la vie nonchalante des princes italiens et cède un peu aux plaisirs de Capoue. Puis Philippe II lui donne le gouvernement des Pays-Bas, révolté contre son roi. Il est chargé de réprimer les violences et de rétablir l’ordre mais cela se passe mal, c’est un homme de guerre mais pas un politique. En plus le secrétaire de Philippe II, Antonio Peres, n’aime pas Don Juan, il a peur qu’il réussisse, alors il fait des rapports faussés au roi et transforme les lettres pour le discréditer. Allant même plus loin Peres fait assassiner son secrétaire venu à Madrid pour expliquer l’action de son maître, ce qui affecte énormément don Juan.

La situation aux Pays-Bas est très compliquée. Le parti catholique est opposé au parti du prince d’Orange (les calvinistes), ainsi qu’aux Etats Généraux (soumis à la volonté des Belges qui veulent rester attacher à l’Espagne à condition que ce soit eux qui dirigent), au parti français, au parti impérial et au jeu des Anglais qui font pourrir la situation pour nuire à l’Espagne. Six partis donc s’opposent, et don Juan n’est pas un assez fin politique pour démêler le jeu des uns et des autres. Aussi il se décourage, même après la prise de Namur, et sombre dans une petite dépression. C’est alors qu’il attrape une fièvre, les médecins ne savent pas le soigner, et il meurt quelques jours plus tard. Il meurt avec une certaine amertume mais fidèle à son roi, et avec son crucifix entre les mains.

Avec cette mort Philippe II a beaucoup perdu, l’Espagne devient moins grande. L’homme est mort mais pas sa mémoire. Don Juan voit son étoile briller après sa mort, d’autant qu’après lui l’Espagne perd ses positions, elle voit sa puissance affaiblie, et ses rois ne sont pas à la hauteur. Au moment de cette décadence la période glorieuse de don Juan apparaît comme un âge d’or, et son action se trouve nimbée de gloire. Les Espagnols ont besoin de héros, c’est Don Juan, il incarne la gloire des champs de bataille, dans le soleil couchant du siècle d’or espagnol les derniers feux resplendissent sur la cuirasse de fer du vainqueur de Lépante.

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