Corée du Nord : les fous et les pions

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dimanche 13 août 2017

La nouvelle escalade verbale entre la Corée du Nord et les États-Unis d’Amérique peut faire craindre une déflagration militaire dans cette zone du Pacifique qui est l’une des poudrières du monde. S’il est difficile de comprendre ce que veulent vraiment les principaux acteurs et jusqu’où ils sont prêts à aller, on ne peut toutefois pas faire l’impasse sur le caractère bien particulier de la Corée du Nord.

La folie coréenne

Ce pays s’est formé par la guerre, la deuxième guerre mondiale d’abord, la guerre de Corée ensuite. Il vit dans une crainte continue – et réelle- de la guerre, étant entouré d’ennemis : la Corée du Sud, la Chine, les États-Unis, le Japon. Certes la dynastie des Kim est dictatoriale et totalitaire, elle réprime sa population et la contrôle violemment, et celle-ci vit dans une pauvreté extrême, mais la population nord-coréenne est également très nationaliste. Elle se voit encerclée par les États-Unis et garde en mémoire les affres de la guerre de Corée, c’est-à-dire d’une possibilité réelle d’invasion américaine. Elle est donc prête à attaquer en premier et fera tout pour se défendre de cet adversaire. On sait aussi que la désignation d’un ennemi extérieur permet de souder et de liguer une population autour de son chef d’État et de faire passer au second plan les difficultés internes.

L’irrationalité américaine ?

Il en est de même pour Donald Trump. Cela fait au moins quinze ans que les États-Unis regardent Pyongyang avec une grande méfiance. La menace nord-coréenne n’est pas une invention de Trump, mais l’Iran, l’Afghanistan et l’Irak lui étaient passés devant. Avec l’effacement de ces adversaires, la Corée revient mécaniquement sur le devant de la scène. Pour les États-Unis, il n’est pas acceptable qu’un pays puisse menacer une partie de son territoire. Or Pyongyang vise directement l’île de Guam, habitée par 160 000 personnes et qui possède la plus grande base militaire américaine.

Quel rôle joue Donald Trump ? Applique-t-il la stratégie du fou mise au point par Richard Nixon lors de la guerre du Vietnam ? Il s’agissait alors de faire croire aux Vietnamiens que les États-Unis étaient prêts à utiliser l’arme nucléaire pour les forcer à la négociation et en finir avec ce conflit. L’imprévisibilité de Donald Trump peut-être une stratégie payante. Cela peut effrayer Pyongyang et limiter ses ambitions. En diplomatie aussi il y a ce que l’on voit et ce que l’on en voit pas : derrière les tweets de Trump, il y a les négociations en sous-main. Il faut aussi rassurer la population américaine et lui montrer que le Président agit. Le discours diplomatique est à la fois ad extra, vers l’extérieur, et ad intra, à sa population.

L’attentisme asiatique

En Asie, tous les pays ont intérêt au statu quo. La Chine préfère avoir deux Corée à ses frontières plutôt qu’une seule. Cela lui permet de justifier son armement et ses incursions en mer de Chine et dans le Pacifique. La Corée du Sud n’a aucune envie d’une réunification qui serait extrêmement couteuse. L’existence d’un adversaire au nord lui permet de justifier auprès des États-Unis le maintien de sa présence militaire, ce qui est utile non seulement à l’égard de Pyongyang, mais aussi de Pékin. Le Japon enfin a lui aussi intérêt à la permanence nord-coréenne. Cette instabilité contrôlée lui permet de faire pression sur la Chine et la Corée du Sud et peut justifier un réarmement nippon, en rupture avec l’engagement pris en 1945.

Les pions d’Europe ?

Enfin, la crise coréenne interroge aussi l’Europe sur le sens de la guerre. La France est l’un des seuls pays qui affirment qu’il est en guerre et qui en même temps diminuent son budget militaire, une attitude suicidaire sur le long terme. Obnubilés par la menace terroriste, nous risquons de perdre de vue que la guerre peut aussi être classique, c’est-à-dire d’Etats à Etats, et nécessiter un usage de l’armée conventionnelle et pas seulement du renseignement et du contre-terrorisme. L’adversaire n’est pas que l’État islamique et des jeunes radicalisés. À force de concentrer nos moyens uniquement sur Sentinelle et les Renault Kangoo de Vigipirate on prend le risque de perdre de vue l’existence d’une menace globale, notamment dans le Pacifique. Car au-delà de la question coréenne il y a aussi la Chine et l’Inde, ce qui rend indispensable la possession d’une flotte digne de ce nom (c’est-à-dire avec deux porte-avions). Avec ses missiles balistiques, la Corée du Nord peut atteindre Paris en quelques dizaines de minutes.

La crise nous concerne donc. La France n’a plus de tradition diplomatique en Asie, alors que nous avons contrôlé l’Indochine pendant plusieurs décennies. La disparition coloniale ne doit cependant pas nous faire croire que le monde se limite à l’Afrique et au Proche-Orient. Passer à côté de cela risque de placer l’Europe en situation de pion regardant le combat des fous.

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