Comment Bordeaux est devenu un vignoble réputé 1/3

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jeudi 1er mai 2014

L’émergence de la renommé bordelaise

Nota : tous les chiffres cités dans cet article sont issus de Vignobles et vignerons du Bordelais (1850-1980) de Philippe Roudié. Les éditions Féret ont assuré la réédition de cet ouvrage en 2014. De même, cet article se fonde sur une fiche de lecture réalisée à partir de cet ouvrage. L’œuvre de Philippe Roudié est un classique de l’histoire viticole française, et un travail majeur de l’histoire économique.

L’affirmation de la renommée bordelaise

Les années 1850-1880 sont cruciales pour le développement du vignoble moderne de Bordeaux et l’édification de sa prospérité nationale et internationale. Les négociants profitent de plusieurs facteurs conjoncturels pour accroître leurs exportations : une amélioration des moyens de communication, avec l’invention des bateaux à vapeur, les facilitations commerciales, avec la conclusion d’un accord de libre-échange entre la France et l’Angleterre en 1860, la paix retrouvée de l’Europe, après les tourments des années révolutionnaires.

Tout n’est cependant pas un long fleuve de tranquillité. La vigne subit les assauts de plusieurs maladies, l’oïdium d’abord, dans les années 1850-1860, puis l’invasion du phylloxéra, à partir des années 1880. Cela n’empêche pas le vignoble bordelais de se structurer, d’organiser le classement et la hiérarchisation de ses appellations, et de gagner sa renommée mondiale.

Le développement des bouteilles

Les exportations de vin se font quasi exclusivement en tonneaux, en futaille comme on disait à l’époque. Ces tonneaux sont ensuite mis en perce et le liquide est vendu au détail dans les magasins à vins. La bouteille est une invention récente et son expansion commence vraiment à partir du XVIIIe siècle. C’est, jusqu’alors, un récipient servant à amener le vin à table, plus proche de la carafe que de notre bouteille actuelle. On ne met en bouteille que les grands vins, ceux qui se distinguent par leur goût et leur prix. Le phénomène dure jusque dans les années 1950-1970. L’usage de la bouteille de façon généralisée est tout à fait récent. Il est dû à la baisse du coût de fabrication des bouteilles en verre, à l’augmentation de la qualité des vins et à celle des prix. L’usage des bag in box est récent. C’est le retour des tonneaux, sous une forme modernisée, même si le procédé de fabrication de ces BIB est récent.

L’emploi de la bouteille à Bordeaux se manifeste dans le volume des vins exportés qui ne cesse de croître entre 1849 et 1872.

Volume des vins exportés en bouteille, par année (cela ne concerne que les grands vins).

1849 : 40 900 hl
1853 : 53 900 hl
1860 : 65 000 hl
1872 : 109 000 hl

Toutefois, cela représente toujours entre 7 et 9% des volumes de vin exportés. La futaille reste prédominante. Il y a une frontière nette entre vin de bonne qualité et vin de consommation courante, notamment dans l’usage des bouteilles.

La part du Bordelais dans les exportations de vins français est importante, mais elle va en diminuant, les autres régions exportant aussi des vins en bouteille.

1859 : 69 200 hl
1871 : 117 600 hl
1880 : 251 000 hl

Les débouchés du Bordelais

Les pays du nord de l’Europe sont ceux qui achètent le plus de vin de Bordeaux, notamment les pays du Zollverein : 128 000 hl sur 170 000 hl exportés, en 1865.

Évolution des exportations de vin vers l’Allemagne :
1865 : 90 000 hl
1870 : 170 000 hl
1880 : 200 000 hl

Les accords de libre-échange entre la France et l’Angleterre, puis entre la France et les autres pays, contribuent puissamment au développement des exportations.

Les Pays-Bas et la Belgique achètent majoritairement des vins de Bordeaux, alors qu’ils sont plus près de la Bourgogne. Cela montre que, pour les vins fins, ce sont le goût et les liens commerciaux qui structurent le commerce des vins, plus que la proximité géographique.

L’Angleterre s’est détournée de Bordeaux. La ville vend plus de vin à la Réunion ou à l’île Maurice qu’aux Anglais. Tout change avec les accords commerciaux de 1860. Les ventes augmentent et prennent une part importante, l’Angleterre devient le premier client et dépasse l’Allemagne et l’Argentine dans les années 1880. C’est un client très fidèle. Surtout, elle achète beaucoup de vins vieux en bouteille. L’Angleterre délaisse l’Espagne et le Portugal, qui étaient ses fournisseurs habituels, pour acheter ses vins à Bordeaux.

Importations britanniques de vins :
1857 : 470 000 hl
1873 : 980 000 hl

Importations de vins français :
1857 : 36 000 hl (7.6%)
1873 : 283 000 hl (28.8%)

Part du vin du Cap et du Portugal
1857 : 75% / 28%
1873 : 0.07% / 18.4%

Passant de 7.6% des volumes de vin vendus à 28.8% entre 1857 et 1873, Bordeaux devient le premier fournisseur de vins fins de l’Angleterre. Sur la même période, les vins de la colonie du Cap disparaissent des marchés anglais, ce qui oblige les vignerons de cette région à réorienter leurs débouchés. Bordeaux devient le vignoble phare de l’Angleterre, et les liens tissés entre cette région et Albion déteint sur les pratiques de vie bordelaises. Les clubs à l’anglaise se créent dans la ville, les enfants des négociants portent, plus souvent qu’ailleurs en France, des prénoms à connotation anglaise (Édouard par exemple). Le tropisme anglais et l’anglomanie entrent en France par la place bordelaise. Cette activité de négoce et d’ouverture maritime a aussi influencé des penseurs économiques en lien avec Bordeaux, comme Frédéric Bastiat.

Mais le premier client de Bordeaux demeure l’Argentine, jusque dans les années 1880. Buenos Aires est en lien direct avec Bordeaux. Ce pays n’importe presque aucun autre vin de France, et les Argentins boivent de façon presque exclusive que du vin produit en Gironde.

Exportations de vins bordelais en Argentine :
1848 : 0 hl
1868 : 320 000 hl
1872 : 340 000 hl
1887 : 480 000 hl

Les États-Unis en revanche n’achètent pratiquement pas de vin à Bordeaux, et le développement du vignoble de Californie réduit encore les exportations.

Exportations de vins de Bordeaux aux États-Unis :
1872 : 115 000 hl
1890 : 25 000 hl

Cette internationalisation des exportations amène les vignerons à être présents dans les grandes foires internationales, afin de présenter leurs produits, de les défendre et de gagner des prix. Les principales foires sont Paris (1855), Vienne (1873), Amsterdam (1884) et Anvers (1885).

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