Calvin et son opposition à la messe

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jeudi 17 décembre 2015

Pourquoi Calvin -et les calvinistes- voient-ils la messe comme une idolâtrie ? Une réponse par trois spécialistes du calvinisme.

La messe, les sacrements, le prêtre, les rites : points de vue calvinistes.

A la question pourquoi Jean Calvin considérait-il la messe comme une idolâtrie ?

Bernard Cottret répond : « Il y a des choses dans l’attitude de Jean Calvin que nous avons du mal à reconstituer en notre temps marqué tout de même par l’œcuménisme, en particulier cette espèce d’exécration que Calvin et plus généralement les protestants du XVIe siècle pouvaient ressentir par rapport au rite romain ; cela est très nettement marqué chez Jean Calvin qui déconseille effectivement aux fidèles de trouver le moindre compromis avec cette Eglise romaine ; il leur disait : il faut fuir, il faut fuir cette Babylone plutôt que de vous laisser polluer par ces rites impurs. Cette insistance peut nous paraître démesurée à l’heure actuelle, nous avons du mal en tout cas à entrer dans les mentalités du XVIe siècle ; la messe était effectivement perçue par ceux qui avaient fait le choix de la Réforme et qui s’étaient donc engagés dans la nouvelle religion, comme le summum de l’imposture, pourrait-on dire pour utiliser un vocabulaire qui sera plus tard celui des Lumières, et pour en revenir à un enseignement plus biblique, la messe est pour eux une idolâtrie ; cette critique est radicale et c’est véritablement ce qui va permettre au protestantisme français de se constituer : l’Affaire des Placards en 1534 mettra le feu aux poudres.

Par ailleurs, le traité des reliques, (qui est un texte très anti catholique) ouvrage de Jean Calvin, est un texte tout à fait extraordinaire par sa causticité, et je dirais que c’est un texte qui se prête à double niveau de lecture au moins : le premier niveau de lecture est une satire de ce que l’on trouve dans le catholicisme du temps et en particulier l’usage intempestif des reliques ; mais il y a une chose beaucoup plus fondamental dans le traité des reliques c’est une réflexion en profondeur sur les mécanismes même de l’idolâtrie ; et quand on prend Calvin au sérieux on s’aperçoit que ces mécanismes de l’idolâtrie ne sont pas le fait uniquement de l’adversaire sur le plan confessionnel ou sur le plan dogmatique, ce ne sont pas uniquement les catholiques qui sont visés, mais c’est l’idolâtrie qui de façon inévitable s’empare de toute religion y compris la plus pure. Et je crois qu’il y a vraiment chez Calvin une volonté de mettre en garde les fidèles contre la dérive idolâtre en disant : personne n’est exempt de cette dérive. »

Olivier Millet poursuit : « C’est un point extrêmement important, Calvin n’est pas seulement, lorsqu’il redéfinit l’évangile au sens de la Réforme protestante, quelqu’un qui s’oppose à Rome, c’est-à-dire qui conteste une interprétation, c’est quelqu’un qui réfléchit sur les rapports de l’homme et de Dieu, de Dieu et de l’homme et sur ce que nous appelons aujourd’hui le sacré en fait et qui redéfinit tout cela. Comme il ne le fait pas en philosophe détaché, désintéressé, mais qu’il le fait en porte-parole de ce qui lui semble être la révélation divine, il conteste de manière radicale ce avec quoi il n’est pas d’accord : cette conception traditionnelle voire médiévale du sacré et cette contestation pour lui porte sur l’erreur, -Bernard Cottret vient de parler d’imposture-, c’est-à-dire que l’erreur n’est pas seulement une erreur intellectuelle, l’erreur est une falsification des rapports entre l’homme et Dieu ; d’où cette véhémence chez lui et ce rejet terrible de la messe qu’en nos temps œcuméniques nous ne pouvons presque plus comprendre… Puisque pour nous il s’agit, même si nous ne sommes pas d’accord avec la messe catholique d’une sorte d’approximation, mais pour Calvin l’approximation par rapport à la vérité n’est pas une approximation, c’est une falsification. »

Pierre Janton enchaîne : « Évidemment l’œcuménisme passe un coup de pinceau sur bien des différences qui restent cependant fondamentales. Pour Calvin, la messe ne peut être qu’une idolâtrie parce que c’est l’impanation de la divinité et donc le pain devient lui-même divin sur un geste de consécration du prêtre, ce qui fait que le prêtre est une sorte de magicien qui transforme le pain en Dieu… Et c’est sur cette notion de prêtrise, ce monopole du sacré que repose la hiérarchie catholique. Calvin a détruit cela. Et c’est pourquoi il s’est fait l’ennemi radical d’une religion fondamentalement opposée à la sienne, puisque la religion de la messe c’est adorer Dieu présent physiquement pas seulement spirituellement dans l’hostie et dans le vin. Pour Calvin, Dieu est bien présent mais dans le cœur du croyant ; de sorte qu’à mes yeux le catholicisme et le protestantisme sont deux religions radicalement différentes parce qu’elles ont une approche tout à fait divergente du sacré. »

Olivier Millet « Ce sont deux interprétations différentes du Christianisme ; et il est vrai que c’est là le moment de rupture de Calvin ; Martin Luther le premier réformateur avait déjà critiqué la messe, mais Calvin lui tire toutes les conséquences anthropologiques qui concernent l’homme, l’humanité dans son rapport avec Dieu. Il en tire toutes les conséquences, pas seulement théologiques et spirituelles, mais aussi sociales, culturelles ; les Luthériens, plus prudents sur ces questions-là, n’étaient pas allés jusqu’au bout de la démarche. Calvin en déployant la signification des grandes intuitions réformatrices, les conduit à leurs termes, ce qui produit une reformulation du Christianisme ou une nouvelle interprétation du Christianisme. Le protestantisme reconnait deux sacrements le baptême et la Cène. La cène étant une communion des fidèles au corps représenté par le pain et au sang représenté par le vin mais cette impanation c’est-à-dire que le Christ se rend présent par son esprit dans le cœur des fidèles à travers la célébration du rite. »

Il n’y a pas de messe chez les calvinistes mais une cène, un rappel d’un événement passé.

Jusqu’où ira la désacralisation ?

Bernard Cottret « La désacralisation ne connait pas de borne, en réalité. Et j’aime beaucoup cette formule qu’a utilisée Pierre Janton : le calvinisme est aussi une religion du cœur. Il s’agit d’une dimension que l’on a complètement passée sous silence ; on fait du calvinisme une espèce de rigorisme moral absolu et l’on s’aperçoit à la lecture de Calvin de l’existence attestée d’une sensibilité réformée ; il y a une volonté de rendre compte justement de toute cette piété ; cela n’est pas du tout une religion sèche comme on le dit parfois, il suffit de lire Calvin, ce sont des textes d’une admirable beauté, il y a une esthétique littéraire de Calvin. Ce refus de la messe est fondateur, c’est fondateur du calvinisme. Il y a une révolution intellectuelle qui s’opère à ce moment là. »

OM : « Calvin interprète cette reformulation de l’Eglise primitive comme un retour à l’Eglise des origines, l’Eglise du III° IV° siècle. Pour découvrir la vérité il faut revenir à l’origine de la vérité, donc bien connaître les textes bibliques dans leur langue originelle. Pour Calvin cette nouvelle manière de saisir l’Evangile passe par une bonne compréhension des premiers textes chrétiens. »

Qu’est-ce qui séparent les catholiques et les calvinistes ? Par rapport à la Trinité par exemple ?

PJ : « Pour un calviniste la formulation de Trinité est la formulation parfaitement orthodoxe de la divinité. Calvin a lutté contre tous ceux qui s’opposaient à ce statut trinitaire de la divinité. Sur ce point il est très catholique, le plus catholiques de tous les théologiens protestants. Il y a eut des débats au II° siècle sur la Trinité, mais pour Calvin ce débat est fermé. »

BC : « Michel Servet a payé de sa vie ce refus de la Trinité. Il est d’origine espagnole, il fut en contact avec les musulmans et les juifs, peut-être a-t-il été influencé par eux. Calvin a défendu la Trinité d’autant plus qu’on l’a attaqué sur ce point. »

PJ : « La Trinité est la clef de voûte de tout le système chrétien. Elle est dans le droit romain, dans le code de Justinien. C’est la clef de voûte de l’ordre social et politique. Toucher à cela s’est remettre en cause quelque chose qui est attesté par l’Ecriture et qui en plus est garant de l’ordre social. »

BC : « Calvin a dû mal à défendre la Trinité car elle manque de support biblique. Mais il y reste quand même fidèle. »

Passons à la révélation.

BC : « Pour un protestant cette question de la Tradition a été récusé. C’est un des éléments utilisé par l’Eglise mais cet argument ne tient pas, les protestants ne s’appuient que sur la Bible. Thomas More en Angleterre défend ardemment la Tradition, il répond au protestant qu’il y a peut-être une partie de l’enseignement qui n’a pas été consigné dans les textes. Le débat au XVI° siècle est très vif. Le débat sur la succession apostolique est aussi très vif. »

PJ : « Aujourd’hui le débat est moins vif. A la Renaissance on redécouvre les textes et les langues qui y sont attachées. Calvin intervient dans ce débat. Dire que la Bible est le seul texte normatif est aussi un moyen de se rattacher à toute la culture antique. La question reste posée des rapports entre révélation religieuse et révélation spirituelle. »

Jésus Christ fils de Dieu, incarné, mort pour sauver les hommes.

OM : « Pour Calvin la Rédemption est central. S’il y a un rédempteur il ne peut y avoir d’autres rédempteurs et encore moins d’aide rédempteur. »

PJ : « Tous les médiateurs sont éliminés. »

Nous abordons maintenant le lourd chapitre de la double rédemption. Pour un catholique la rédemption se fait par la foi et par les œuvres. Pour un calviniste elle est obtenue par la foi seule.

PJ : « en réalité il n’y a qu’une rédemption. Il y a des gens qui croient et d’autres qui ne croient pas. Pourquoi certains croient et d’autres non ? Dieu a choisi les hommes qui croient. Dieu dirige nos vies, et donc notre vie spirituelle, et donc il donne la foi à certains et à d’autres non. Calvin ne se prononce pas sur ce qu’il advient des gens qui ne sont pas élus. Pour se débarrasser de la prédestination il faut se débarrasser de la moitié de la Bible parce que les arguments de Calvin sont très étayés. »

OM : « La foi n’est pas une œuvre. Elle ne peut être mise sur mon compte, sur ma capacité de croire. La foi est un don divin, elle fait partie de ce processus de mon salut. Pour Calvin le monde fait partie de la création, Dieu va chercher des gens qu’Il va sauver. Il les prend quel qu’ils soient et ils les transforment. La foi est une des étapes, un des aspects par lequel il se saisit des êtres humains, et il les conduit jusqu’au Salut.

BC : « Il y a une grande incompréhension sur la prédestination. Le calvinisme ne se réduit pas à la prédestination, ceci dit elle a un caractère central. La prédestination n’est pas à la mode aujourd’hui, mais elle est profondément libératrice. Elle dit ce n’est pas l’Eglise qui détient le Salut, c’est la grâce. Et quand vous êtes une minorité c’est extraordinaire car vous êtes sauvés seul. La prédestination fait aussi débat chez les catholiques au XVII°, comme chez les jansénistes. La prédestination chez Calvin ce n’est pas le loup-garou. »

PJ : « Qu’est-ce que c’est que la foi chez Calvin ? Celui qui a la foi c’est un homme qui trouve toujours un sens ultime à sa vie. Quelle que soit la situation il faut croire que ce Dieu est un Dieu d’amour. »

OM : « Calvin est un homme très malade, il cumule toutes les maladies. Chez Calvin la foi est quelque chose qui nous saisit. Aucun être humain ne sait qui, en dehors de lui, ne peut dire qui est sauvé ou qui ne l’est pas. Il remet à la providence divine le soin de le savoir. La vérité peut-être désignée, mais pas le Salut. »

BC : « Pascal est un des grands écrivains de la langue française, mais pas Calvin, on ne le met pas à sa place dans l’histoire de la littérature française. Il faut redécouvrir sa langue. Calvin ce n’est pas qu’une lecture pour les calvinistes, même si beaucoup d’entre eux ne l’ont jamais lu, je m’en rends compte tous les jours. »

OM : « Calvin a exprimé ses grandes idées spirituelles sous la forme d’une langue nouvelle, sous une prose nouvelle. Il a rendu accessible ses grandes intuitions spirituelles. »

Revenons à la Vierge Marie et aux saints.

BC : « Les calvinistes les rejettent totalement. Pour nous c’est la centralité du Christ. Tous les protestantismes rejettent la réitération, on ne peut réitérer le Golgotha. »

Les sacrements maintenant.

OM : « Il y a 2 sacrements chez Calvin. Un sacrement est le signe de la grâce. Il y a le baptême et la cène. Ce que la communauté doit faire pour se référer aux ordres du Christ. »

BC : « Il y a un caractère très communautaire des sacrements protestants. Le baptême se fait en public. Sur le baptême tout le monde est d’accord. Sur la cène non. Elle joue un rôle très fort qui a des conséquences sur la morale. Dans la cène il y a une présence réelle, cette présence n’est pas dans le pain mais dans l’esprit. On ne peut pas l’approcher avec des mains sales, seuls les repentants peuvent venir, pas les débauchés. Il faut que sa conduite soit irréprochable, on n’approche pas le don de Dieu n’importe comment, on ne parle pas de Lui n’importe comment non plus. Avant d’entrer, et en sortant, il faut que la communauté soit droite. »

OM : « La communauté est un point très important. Les calvinistes sont différents des luthériens. Le sens de la responsabilité du groupe n’est pas la même. Les calvinistes ont une spiritualité de réfugiés, de minorités. Le souci de l’autre est très prégnant. On est fondé sur la communauté, elle fonde l’église. »

Approfondissons le point de l’Eglise.

PJ : « Pour le calviniste il y a le sacerdoce universel. »

OM : « Chez les catholiques la vérité a besoin d’une hiérarchie. Chez les calvinistes la hiérarchie n’est que fonctionnelle. »

BC : « Il y a un pouvoir du prêtre. Calvin ne pense pas le pouvoir mais la fonction. Il reste des ministères, des diacres, des pasteurs, des docteurs. »

PJ : « Il faut souligner l’aspect politique de cette fonction. Le pasteur est un parmi les autres. Il y a une parfaite égalité. les conseillers entourent le pasteur, tous peuvent prendre la parole, c’est un régime d’assemblée. Ce régime veut être traduit dans toute la société. »

OM : « Cela donne la république. Aucun individu ne doit pouvoir dominer, mais aussi aucune église. »

BC : « Le terme politique utilisé par Calvin c’est le terme magistrat. C’est très intéressant. Le magistrat peut être ou souverain, un roi, une assemblée, un président. Il faut penser en terme de fonction et non pas en terme de pouvoir abstrait. Nous allons tous occuper des fonctions, les personnes ne doivent pas se confondre avec elle. »

En savoir plus sur nos invités :

Bernard Cottret est docteur ès lettres, professeur de civilisation des îles Britanniques et de l’Amérique coloniale à l’Université de Versailles-Saint-Quentin.

Olivier Millet, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, est professeur de littérature française à l’université de Paris 12. Spécialiste de l’humanisme et de la littérature religieuse, il a consacré sa thèse à Calvin, a édité Institution de la religion chrétienne dans sa version française de 1541 et publié de nombreuses éditions et études d’œuvres de la Renaissance française (Montaigne, Du Bellay, Marguerite de Navarre).

Pierre Janton est docteur en lettres et en théologie, ancien professeur de langue et littérature anglaises. Il a dirigé un centre de recherche sur la Réforme et la Contre-Réforme et publié plusieurs ouvrages et articles sur la Réforme, la Renaissance, le protestantisme.

Source : Canal Académie.

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