Biographie de Pierre Milza sur Pie XII

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jeudi 11 décembre 2014

Pie XII, Pierre Milza, Fayard, 2014.

Pierre Milza est passé maître dans les biographies historiques : Napoléon III, Mussolini, Garibaldi, Verdi, et ce spécialiste de l’Italie contemporaine et du fascisme s’intéresse aujourd’hui à un autre Italien : Eugenio Pacelli. Il nous propose une biographie monumentale de plus de 400 pages, très bien écrite et documentée, abordant tous les aspects de la vie de Pacelli, et ne s’arrêtant pas uniquement à ses années de guerre mondiale. La couverture exprime d’emblée la thèse de cette biographie : ce n’est pas la photo de Pie XII qui y est imprimée, mais celle du cardinal Pacelli en 1935, secrétaire d’État et diplomate du Saint-Siège. L’auteur a à cœur de montrer comment Pacelli fut d’abord un diplomate, un homme au service du Saint-Siège, de par sa tradition familiale, l’aristocratie noire de Rome, sa formation, études de droit et de diplomatie, et ses fonctions pastorales : il travailla toujours dans l’orbite de la secrétairerie d’État.

Bien sûr, le lecteur ira immédiatement aux pages consacrées à la guerre, pour savoir ce que l’auteur pense de l’action de Pie XII face aux nazis et face au génocide juif. C’est commettre une erreur épistémologique que de procéder ainsi, car l’attitude de Pie XII entre 1939 et 1945 ne peut se comprendre sans sa formation initiale et ses missions diplomatiques durant les années 1920-1930. Pierre Milza démontre de façon admirable comment Pacelli était un conseiller recherché par les papes qu’il a servi, Benoît XV et Pie XI, et le secrétaire d’État avec qui il a longtemps travaillé, le cardinal Pietro Gasparri. C’est Pacelli qui est envoyé dans la plupart des États d’Europe pour négocier les concordats que ceux-ci veulent signer avec le Saint-Siège. C’est lui qui est nommé nonce à Munich, voyant ainsi de l’intérieur les affres de la déroute de 1918, dans une Allemagne en proie à la dissolution et secouée par les difficultés de la république de Weimar. Il affronte la révolution spartakiste, et risque sa vie à plusieurs reprises, étant la cible des révolutionnaires communistes. Bras droit de Pie XI, c’est lui qui travaille sur la rédaction de l’encyclique condamnant le nazisme (1937), comme il avait auparavant négocié avec le régime fasciste pour aboutir aux accords du Latran (1929). Ce diplomate écouté, que Pie XI a envoyé faire des voyages aux Amériques et en Europe, est un des plus grands connaisseurs de l’Europe et des dangers totalitaires quand s’ouvre le nouveau conflit mondial en 1939.

Sur l’action de Pie XII pendant la guerre, Pierre Milza reprend les travaux pionniers du père Pierre Blet et de Philippe Chenaux. Il montre comment Pie XII a contribué à sauver des juifs, comment il fut aussi torturé par ses dilemmes de savoir s’il devait parler publiquement et des conséquences que cela aurait sur les nazis. Il n’omet pas non plus de mentionner l’action de Roosevelt et de Churchill, sur le sujet beaucoup plus passifs que le pape.

Tout au long de sa biographie, Pierre Milza s’attache à nous montrer l’humanité de Pie XII et à briser l’image pieuse d’un homme hiératique et froid. Il évoque ses problèmes de santé, des douleurs gastriques qui le tiraillent tout au long de sa vie, ses longues heures passées à travailler, dormant très peu, et son amour du peuple romain et des ouailles qui lui sont confiées. Pendant les bombardements de Rome, il part régulièrement visiter les quartiers touchés, au mépris des règles de sécurité. Il visite directement les populations frappées par la guerre, revenant poussiéreux et la soutane tachée de sang.

Si le Pacelli diplomate est très bien étudié, on regrettera que l’auteur passe un peu vite sur le Pacelli pape, dont le pontificat d’après-guerre a duré presque 15 ans. Tous les grands thèmes de son pontificat sont abordés : les prêtres ouvriers, la réforme de l’Église, la modernité et la construction de l’Europe. L’auteur en parle très bien, et s’attache à montrer que Pie XII fut un pape réformiste et innovant, ce qui surprendra ceux qui ont de celui-ci une vision quelque peu figée. Le dernier chapitre est ainsi consacré à l’Europe violette et vaticane, où l’on découvre que Pie XII a porté la naissance du projet européen, et qu’il a proposé à plusieurs reprises les institutions suisses comme modèles politiques pour l’Europe des nations. Celui qui fut toute sa vie juriste et diplomate était à même de pouvoir proposer des institutions adaptées pour l’Europe.

Ce Pie XII sera probablement un classique. C’est en tout cas d’ores et déjà une grande biographie. Pierre Milza a su appliquer ses qualités et ses talents à une personne qui ne correspondait pas au champ premier de ses recherches.

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